Aliénor d'Aquitaine, reine de France et d'Angleterre

C’est bien connu. La grandeur de l’Angleterre a été dessinée par les femmes. Entre reines souveraines et reines-consorts, la monarchie britannique a progressé pour perdurer et s’imposer. Parmi elles, Aliénor d’Aquitaine a une place de choix au panthéon des femmes d’Angleterre. Son intelligence n’avait d’égale que sa beauté. Charismatique, elle fut reine par deux fois et s’est imposée de son vivant comme une femme influente à l’épreuve des tourmentes de son temps. L’heure est venue de vous compter l’histoire d’Aliénor d’Aquitaine, reine de France et d’Angleterre.

 

La belle duchesse

Guillaume X est l’un des plus puissants seigneurs de son époque. Duc guerrier, il se bat envers et contre tous pour l’indépendance et la richesse de son duché. En 1137, il part en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Mais sa santé en dégrade et il meurt le 9 avril en ces terres saintes. Pour lui succéder, une jeune fille de seulement 15 ans doit prendre les rênes de l’avenir du duché.

Aliénor est née vers 1122 près de Bordeaux. Son père lui offre une éducation soignée digne de celle offerte aux femmes de la noblesse de l’époque. Elle apprend alors le latin, la musique, la littérature, l’équitation et la chasse. La cour d’Aquitaine se présente alors comme l’une des plus raffinées d’Occident. Devenue duchesse d’Aquitaine le 9 avril 1137, elle devient le plus riche et plus beau parti de France. A la tête d’un territoire qui s’étend du comté du Poitou aux Pyrénées, en passant par l’Auvergne, son mariage sera avant tout politique. Pour couronner le tout, Aliénor est dotée d’une beauté sans pareil dont les troubadours aiment glorifier à travers toutes les cours du continent.

 

La duchesse reine de France

Quelque temps avant sa mort, Guillaume X savait que le mariage de sa fille aînée sera un atout politique pour son duché. Il négocia avec le roi Louis VI le Gros pour s’assurer de son mariage avec l’héritier de la Couronne de France. Trois mois seulement après la mort de Guillaume X, Aliénor épouse le dauphin Louis à Bordeaux. C’est donc ensemble, qu’ils sont couronnés duc et duchesse d’Aquitaine en la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers. Mais le jeune couple doit rapidement se diriger à Paris. En chemin, ils apprennent la mort de Louis VI. Désormais reine de France, elle part pour Bourges afin d’être couronnée le jour de Noël. En une seule année, Aliénor est devenue duchesse et reine à la fois. Le destin hors du commun de cette femme de caractère ne fait que commencer.

Aliénor apporte à la cour de France les raffinements qu’elle a connu en Aquitaine. Aimant le luxe et les troubadours, ses manières et ses goûts ne font pas l’unanimité. Elle fait rapidement l’objet de railleries. D’autant que certains l’accusent d’avoir une trop grande influence sur Louis VII. De plus, leurs premières décisions politiques déplaisent. Louis VII prend sans effusion de sang Poitiers. En retour, il exige que les habitants lui livrent leurs fils et filles en otage. Il a fallu toute la force de son ami et conseiller l’abbé Suger pour qu’il revienne à la raison et abandonne cette folie.

Le couple formé par Aliénor et Louis VII n’est pas harmonieux. A l’origine, Louis VII n’était pas destiné à monter sur le trône. Il se vouait d’abord à la piété et souhaitait entrer dans les ordres. Mais la mort de son frère aîné le propulse sur le devant de la scène. Il mène une vie austère et rigoureuse, tel un moine en son monastère. Face à lui se dresse une femme fougueuse, qui aime la fête, le luxe et le pouvoir. En tout point, les deux époux sont antithétiques. Louis rend très peu visite à Aliénor, mais malgré tout, elle parvient à lui donner une fille en 1145 prénommée Marie. Leur premier né vient à peine de voir le jour que Louis VII annonce publiquement son attention de partir en croisade. La seconde croisade de l’Histoire débute alors.

 

La deuxième croisade

Aliénor ne peut se résigner à régenter le royaume en attente du retour de son royal époux. Elle part avec lui accompagnée d’une immense suite qui ralentie le convoi. En Terre Sainte, elle découvre les beautés du monde oriental. Les épices, les étoffes, les couleurs, tout l’enchante et l’émerveille. Louis, au contraire, s’enferme encore davantage dans son austérité. Le couple ne s’entend plus. Les disputes fusent et ils finissent par s’éloigner.

La croisade est un terrible échec militaire et politique. Malgré tout, Louis VII et Aliénor arrivent à Antioche où ils sont accueillis par l’oncle d’Aliénor, Raymond de Poitiers. Beau et robuste, le prince d’Antioche se rapproche de sa nièce. Les rumeurs ne tardent pas à naître et arriver aux oreilles du roi. Il l’accuse d’infidélité avec Raymond. La rupture semble inévitable. Aliénor et Louis VII rentrent en France en 1150 par deux bateaux séparés. Mais encore une fois, grâce à l’intervention de Suger, le couple royal finit par se réconcilier au point qu’un a plus tard naît une deuxième fille, Alix.

La naissance d’Alix n’arrange pas leur mésentente. Aliénor est décidée à le quitter. Elle envoie une demande officielle d’annulation du mariage au pape en 1152. Ce dernier finit par l’accorder le 21 mars pour consanguinité aux 4e et 5e degrés. Aliénor est une nouvelle fois un cœur à prendre. Mais pour combien de temps ?

 

Aliénor, reine d’Angleterre

Cette annulation de mariage est un désastre politique et territorial pour la France. Le plus beau parti d’Occident retourne en son duché. En chemin vers Poitiers, elle manque de se faire enlever à deux reprises par des nobles qui veulent l’épouser. Elle reprend les rênes de ses terres et se tourne vers un autre jeune homme : Henri Plantagenêt.

Henri est d’une dizaine d’années son cadet, mais peu importe. Il est grand, fort, élégant, beau et intelligent. Tout ce qui peut convenir à Aliénor. Deux mois après l’annulation de son mariage avec Louis VII, elle épouse Henri le 18 mai 1152 à Poitiers. Henri est ambitieux. Il est le fils aîné de Mathilde l’Emperesse, héritière de Henri Ier d’Angleterre. Après avoir combattu avec le roi Etienne pour les droits de sa mère, Henri Plantagenêt est désigné comme son héritier. C’est ainsi qu’en 1154 il monte sur le trône de Saint-Edward.

 

L’empire Plantagenêt

Le 19 décembre, Henri II et Aliénor sont couronnés roi et reine d’Angleterre en l’abbaye de Westminster. Grâce à l’apport territorial d’Aliénor, jamais les territoires anglais sur le continent n’avait été aussi vastes. Ils implantent ainsi un véritable empire qui commence à la frontière de l’Ecosse pour s’achever dans les Pyrénées. A l’intérieur de ce territoire vit une société où l’on parle une dizaine de langues. Henri et Aliénor s’imposent comme un couple soudé favorisant les arts et l’autorité royale. La puissance et l’influence des Plantagenêt inquiète ses voisins, en particulier la France qui se sent prise au piège.

Henri et Aliénor s’entendent parfaitement au point qu’elle donne naissance à pas moins de cinq fils et trois filles. Mais Henri devient rapidement infidèle. Jalouse, Aliénor ne manque pas de le faire savoir et l’entente entre les deux époux commence à se brouiller. Henri a également du mal à gouverner seul un si vaste territoire. En 1170, il proclame son deuxième fils Richard duc d’Aquitaine. Aliénor s’établie alors à Poitiers pour gouverner le duché au nom de son fils préféré. Sous son impulsion, Poitiers vit un véritable âge d’or. Elle fait même raser la vieille cathédrale Saint-Pierre pour une nouvelle cathédrale de style gothique en 1162. Mais Aliénor ne veut pas se cantonner à l’Aquitaine. L’ambition de cette femme de poigne refait alors son apparition.

 

Aux armes contre Henri II

Elle ne supporte plus d’être relayée au second plan par Henri II. Elle fomente une révolte contre le roi avec ses fils Richard, Geoffroy et Henri le Jeune en 1173. Soutenue pour son ancien époux Louis VII et le roi d’Ecosse, elle prend les armes pour renverser Henri II et prendre pleinement le pouvoir. Mais les armées de Henri sont trop puissantes. Son enlèvement en 1174 met fin à la Grande Révolte alors que Richard se range finalement du côté de son père. Pendant quinze années, elle est enfermée dans de nombreuses forteresses comme Chinon ou Salisburry. Henri II tente même de faire annuler le mariage.

Henri le Jeune, l’héritier de la Couronne, a toujours voulu gouverner au côté de Henri II. Mais le vieux roi refuse. Pour assoir sa dynastie sur le trône, il le fait cependant couronné de son vivant en 1170. Henri le Jeune lui demande le duché de Normandie. Mais là encore, il doit essuyer un refus. En 1183, il se révolte à nouveau contre son père. Au côté de son frère Geoffroy, il échoue cependant au siège de Limoges. Il s’enfuie et erre en Aquitaine avant de mourir de la dysenterie. Richard, le fils préféré d’Aliénor, devient l’héritier.

Henri II veut enlever le duché de Normandie à Richard pour le garder auprès de lui, mais Richard refuse. Il lui enlève donc par la force et envoie Aliénor pour le forcer à obéir. Aliénor en profite pour se soulever à nouveau contre son mari au côté de Richard en 1188. Henri II est alors en guerre contre son fils lorsqu’il meurt à Chinon en 1189. Devenue veuve, Aliénor doit prendre en main l’avenir de l’empire Plantagenêt.

 

Matriarche Plantagenêt

La première décision de Richard Cœur de Lion est de libérer sa mère. Que faire de la sépulture de Henri II ? Les fortes chaleurs de l’époque empêchent un voyage en Angleterre. Il faut l’enterre rapidement. Aliénor décide de le faire inhumer à l’abbaye de Fontevraud située à quelques kilomètres. Avec son mari, elle avait encouragé le développement de cette abbaye hors du commun où hommes et femmes vivent en harmonie sous la direction d’une abbesse.

Richard Cœur de Lion part pour la troisième croisade et laisse sa mère gouverner l’empire à sa place jusqu’en 1191. Pendant ce temps, elle empêche son plus jeune fils Jean Sans Terre de se soulever contre Richard. Pendant un temps, elle y parvient mais en mars 1193, il cède le Vexin à Philippe Auguste. Aussitôt, elle rassemble les barons anglo-normands autour d’elle et part à l’assaut de Windsor où réside Jean Sans Terre. Ainsi, elle l’assigne à résidence dans la forteresse de Guillaume le Conquérant.

Sur le chemin du retour, Richard est capturé en Autriche. Aliénor est indignée. Elle met à contribution tout l’empire pour rassembler l’énorme rançon demandée et l’apporte elle-même à Mayence à l’empereur Henri VI en 1192.

 

Fontevraud, terre des Plantagenêt

Richard tombe au siège de Châlus terrassé par un carreau d’arbalète en 1199.  Aliénor pleure la mort de ce fils tant aimé et décide de le faire inhumer au côté de son père à Fontevraud. Elle veut faire de cette abbaye qu’elle apprécie tant, notamment pour le rôle prépondérant des femmes entre ses murs, la nécropole des Plantagenêt. Aussitôt Richard inhumé, elle parcourt tout l’Ouest de la France pour faire plier le genou à tous les seigneurs opposés à la souveraineté de son fils Jean.

Mais la vielle dame de 78 ans est en proie au calme et à la sérénité. Elle se retire dans sa chère abbaye de Fontevraud en 1200. Mais en 1202, Philippe Auguste déclare Jean Sans Terre félon et saisit ses domaines continentaux. Son armée marche sur Tours et menace Fontevraud. Aliénor s’enfuie à Poitiers mais doit s’abriter à Mirebeau qui est assiégée. Délivrée par son fils, elle retourne à Fontevraud. C’est le dernier grand acte de sa vie. Elle rend son dernier souffle à Poitiers le 31 mars 1204 à l’âge de 82 ans. Elle est alors inhumée elle aussi à Fontevraud. Elle repose sous un gisant la représentant telle qu’elle voulait qu’on se souvienne d’elle, comme une femme cultivée et puissante, au-dessus de son époux et de ses fils.

 

La vie d’Aliénor est exceptionnelle en bien des aspects. Elle vécut 82 ans à l’heure où l’espérance de vie n’atteignait pas plus de 40 ans. Elle seule a pu se vanter d’avoir été reine de France puis d’Angleterre. Dans une société où la femme est résolue à se tenir à l’écart des agissements des hommes, Aliénor s’est imposée comme une suzeraine et une souveraine puissante, capable de lever des armées contre son époux et d’influencer la vie des aristocrates de la fin du XIIe siècle. En cela, elle est la parfaite union entre deux royaumes qui n’ont pas cessés de s’affronter.