La maison de poupée de la reine Mary

Le château de Windsor est peuplé d’une multitude de richesses que des millions de visiteurs peuvent découvrir aujourd’hui. Parmi elles, se trouvent un objet extrêmement rare et d’une curiosité sans pareil. La maison de poupée de la reine Mary n’est pas seulement un jouet pour enfant, il est le reflet du mode de vie de toute une société. Symbole du savoir-faire artistique britannique, je vous invite à entrer dans l’une des maisons les plus curieuses de Grande-Bretagne.

 

La reine Mary, collectionneuse incontestée

L’épouse de George V est connu pour son amour pour les arts et les bijoux. Elle a transmis à sa petite-fille Elizabeth II une quantité phénoménale de tiares, broches, colliers mais aussi tableaux, sculptures et autres objets d’art. Elle n’hésitait pas à dépenser des fortunes pour assouvir ses besoins de collectionneuse.

En 1921, la princesse Marie-Louise, cousine de George V, souhaite lui offrir un cadeau. Mais quel présent peut-on offrir à une femme qui semble avoir déjà toutes les collections du monde ? Marie-Louise connaît sa cousine. Elle sait que loin de sa passion pour les bijoux et les œuvres d’art, elle apprécie aussi les miniatures. Ce monde du toujours plus petit la fascine. La princesse Marie-Louise commande alors à Sir Edwin Lutyens une maison de poupée pour sa royale cousine.

 

Maison aristocratique du XXe siècle

En 1921, Edwin Lutyens est déjà connu pour avoir conçu le cénotaphe de Londres mais aussi l’actuel palais du président indien à New Delhi. Son talent a fait ses preuves. Il conçoit une maison aux façades classiques, typiques des maisons aristocratiques du quartier Saint James de Londres.

Avec ses trois étages, cette maison de poupée devient la plus grande et la plus belle du monde. Elle est achevée en 1924. Avec un jardin et une cour, elle est une véritable demeure bourgeoise londonienne. Elle se présente surélevée sur un socle. Ce qui paraît à première vue être un piédestal, est en fait un véritable sous-sol contenant un garage, une cave et des cuisines.

Tout y est pour que de véritables individus puissent y vivre. Le souci du détail est tel qu’au cœur de la propriété, sur la table de cuisine, se trouve une boîte de sauce moutarde Lea et Perrins Worcestershire. Près de l’évier se trouve aussi des minuscules boîtes de savon Lifebuoy et Sunlight. L’horloge est signée Cartier et sonne l’heure du tea time. Derrière une porte, dans la chambre forte, de minuscules copies des joyaux de la couronne font briller les yeux des visiteurs. Dans le prolongement, la cave à vin recèle un magot de 200 bouteilles. Parmi les grands crus, château Lafitte 1875 et cinq douzaines de bouteilles de Veuve Clicquot.

La pièce maîtresse de la demeure est un monumental escalier qui se trouve dans un fastueux vestibule d’honneur. Grâce à lui, les visiteurs peuvent découvrir l’étage noble. Plus beau, plus haut et plus vaste que le rez-de-chaussée et le second étage qui abrite les chambres des serviteurs.

 

Une maison de poupée mécanique

Mais ce qui fascine encore davantage les curieux, c’est bien le système mécanique que la demeure renferme. Les grandes fenêtres à guillotines dorées glissent grâce à un ingénieux système de poulies, tandis que les deux ascenseurs Waygood-Otis électriques fonctionnent en plus des escaliers soigneusement conçus. La plomberie dans les salles de bains du roi et de la reine draine l'eau jusqu'à la salle des machines. Cette salle de bain est d’ailleurs avant-gardiste. Avec sa baignoire, elle préfigure ce qui deviendra une mode dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres.

Dans le salon de musique, la maison de poupée renferme même un gramophone qui peut jouer des enregistrements HMV miniature de Rule Britannia et de God save the King. Le garage renferme quant à lui des reproductions miniatures des Rolls et autres limousines de la famille royale. Le jardin a quant à lui été dessiné par la paysagiste star de l’époque Gertrude Jekyll et dispose d’une tondeuse à gazon fonctionnelle.

 

L’art en miniature

L’écrin de la maison est bien entendu, comme toute demeure bourgeoise qui se respecte, sa bibliothèque. Centre de l’administration de la maison, la bibliothèque est centrale. A ce titre, elle a reçu une attention toute particulière. La reine Mary a fait envoyer des volumes miniatures vierges à de nombreux écrivains stars du moment à qui il a été demandé de remplir. Ainsi, la reine Mary a pu récupérer une histoire manuscrite reliée en cuir de Conan Doyle intitulée How Watson Learned The Trick. Sur ces étagères bien remplies se trouvent de grands noms de la littérature anglaise du XXe siècle. Sur les 600 livres que compte cette bibliothèque, 176 sont des reproductions d’ouvrages.

Comme toute demeure aristocratique digne de ce nom, elle doit être décorée avec faste. La princesse Marie-Louise a alors demandé à une dizaine d’artistes britanniques de participer au projet en réalisant de véritables peintures et sculptures en miniature. L’élite artistique anglaise a répondu présente comme Sir Alfred Munnings.

 

Fabriquée à l’échelle 1/12, la maison de poupée de la reine Mary est le représentant de toute une société. Grâce à elle, il nous est plus aisé de comprendre le mode de vie aristocratique anglais du début du XXe siècle. Aujourd’hui considérée comme un véritable bijou de l’art décoratif anglais, cette maison n’a pourtant jamais servi. Malgré toute la tendresse que Mary accordait à ses petits-enfants, elle n’a jamais accordé à un quelconque enfant de pouvoir jouer avec. Plus qu’un jouet, c’est bien une œuvre d’art à part entière qui est née de l’imagination d’un homme.