La monarchie britannique et les médias (1830-1945)

Elizabeth II, reine de tous les records, demeure le chef d’Etat le plus médiatisé du monde. Qui peut se vanter de ne pas connaître la reine d’Angleterre ? Aux quatre coins de la planète, la figure elizabethaine représente cette Angleterre royale, aux traditions qui paraissent ancestrales et majestueuses. Cette célébrité internationale n’est pas due au hasard. Elle est le fruit d’un long cheminement, d’une lente évolution de la monarchie britannique, qui permit de voir la fonction royale évoluer, et la figure du souverain popularisée. Depuis le milieu du XIXe siècle, la famille royale a su tisser des liens étroits avec les médias de son temps. Pour perdurer, la monarchie doit se transformer selon les demandes de l’époque. Cette évolution passe par une médiatisation qui prend une place toujours plus vaste.

 

La photographie, peinture des temps modernes au service de Sa Majesté

Un monarque digne de ce nom se doit de se faire représenter sur toile. Par la peinture, la puissance du souverain britannique transparaît. Entouré de tous les attributs de son pouvoir, Guillaume IV se tient fièrement, vêtu de son costume de l’ordre de la Jarretière, le regard tourné vers l’avenir, et aux côtés de la couronne de Saint Edward. Cet homme qui monte sur le trône à l’âge avancé de soixante-cinq ans se présente comme un roi assuré et légitime. Les années 1830 voient l’image royale évoluer. Désormais les portraits d’apparat côtoient les représentations plus intimes. Sombre, mais touchant de mélancolie, David Wilkie établit en 1837 un portrait royal nouveau d’un Guillaume IV vieillissant. Une désacralisation de l’image de ce représentant de Dieu en terre anglicane commence à se développer. Mais un an plus tard, Guillaume IV meurt, et laisse son trône à une jeune fille de seulement dix-huit ans. 

                                                             

 Le 7 janvier 1839, Louis Daguerre présente un appareil amélioré de l’invention de Joseph Niépce à l’Académie des sciences. Ainsi naît la photographie. Mais à l’heure du règne victorien, les portraits picturaux sont encore en vigueur. Franz Xaver Winterhalter devient le peintre officiel de la famille royale britannique. Il lie les portraits officiels aux portraits intimistes pour représenter durablement la vie publique et privée de la famille royale anglaise. Quand les uns sont destinés à être vus d’un plus grand nombre, les autres restent dans la sphère privée. Mais il suffit de peu de temps pour voir la photographie se mettre au service de la monarchie d’outre-Manche. En 1844, après de longues minutes d’attente, le flash d’un appareil photo captive pour la première fois Victoria, alors assise confortablement avec sa fille aînée à ses côtés. La reine n’est pas satisfaite de cet appareil diabolique qui ne la met pas à son avantage. Trop réaliste, la photographie n’a pas sa place dans son cœur. Malgré tout, cette nouvelle méthode de figer un visage pour l’éternité se popularise dans les années 1850. La bourgeoisie puis l’aristocratie britannique s’approprient rapidement cette innovation. Pour incarner cette modernité qui s’impose, Victoria n’a plus le choix. Elle se doit de poser devant l’objectif. Les peintures officielles s’effacent peu à peu au profit de la photographie. Les portraits officiels travaillés, représentant une souveraine impérialiste et puissante, se développent. Les plus grands photographes mettent leur talent à la disposition de la reine. Parmi eux, Alexander Bassano, qui reste l’un des photographes les plus en vogue de la haute société londonienne de l’ère victorienne, participe à cette politique photographique royale.

 

Quand la monarchie entre dans les foyers britanniques

La reine Victoria prend conscience d’un fait. Le moindre coût de la photographie contrairement aux peintures, ainsi que l’aisance de sa reproduction, permet de diffuser plus facilement son image. D’autant que l’empire britannique grandit. Victoria a besoin de diffuser des représentations de sa personne. Ainsi, elle se montre telle la mère de sa patrie et de son empire. Elle est le lien entre tous ces territoires qui forment un empire mondial. Sans la photographie, la popularité de Victoria n’aurait jamais été aussi élevée. Edward VII, puis George V, n’auront d’autre choix que de se plier eux aussi à l’obligation photographique. Grâce à elle, le roi d’Angleterre entre dans les foyers britanniques. En chaque demeure, et cela pour toutes les catégories sociales du Royaume-Uni, le portrait du roi trône fièrement dans la pièce principale. Un portrait qui rend visible l’importance de la monarchie pour l’avenir de ce pays. Devant ce portrait, chaque sujet rend hommage à son souverain. Avec lui, la dévotion populaire grandit. Mais en ce début de XXe siècle, le monde change, et la monarchie doit s’adapter.

 

Le roi a une voie

En décembre 1901, une nouvelle invention est commercialisée en Europe : la radio. Inventée par l’Italien Guglielmo Marconi en 1894, elle permet de transmettre la voix des hommes aux quatre coins du monde. Mais la radio reste coûteuse. Il faut attendre 1919, et la création de la TSF (télégraphie sans fil) pour permettre de faire entrer les ondes dans les foyers britanniques. Ce poste familial popularise la radio. Désormais, la majorité des sujets de George V ont accès à cette innovation. De plus, en 1922, la BBC (British Broadcasting Corporation) s’impose sur le sol britannique et prend les rênes de la diffusion radiophonique. L’information devient le fil conducteur de cette société qui obtient une Charte royale en 1927. La BBC couvre désormais l’actualité royale. Chaque événement d’importance est commenté, ou même retransmis, grâce à la BBC. Discours d’inauguration, mariages, anniversaires royaux, sont l’occasion de faire entrer la monarchie dans l’intimité du peuple.

La radio prend une place de plus en plus grande dans le quotidien britannique. George V est conscient qu’il ne peut cantonner son rôle de monarque à quelques apparitions publiques. Il doit prendre la parole pour s’adresser directement à son peuple. En 1932, dans un message intime, George V souhaite un joyeux noël à tous ses peuples de l’Empire par la voie des ondes. En plus d’un visage, le roi a désormais une voie. Depuis Londres, le monarque britannique peut être davantage présent entre les murs des foyers de ses sujets. George V débute alors ce qui devient une tradition. Chaque discours de noël permet de faire un bilan sur l’année écoulée et d’introduire celle qui s’annonce, tout en adressant un tendre message au peuple britannique.

La radio devient un acteur de l’histoire britannique. A travers ses micros, l’histoire se dessine. Ainsi, l’année 1936 se retransmet grâce à elle. Le 20 janvier, la BBC annonce la mort du roi. Le 10 décembre, elle retransmet en direct de Windsor le discours d’Edward VIII annonçant son abdication en faveur de son frère cadet pour le cœur de la femme qu’il aime. Le 14 décembre, la proclamation officielle de George VI depuis le palais Saint James est elle aussi retransmise sur la BBC. En somme, chaque Britannique devient le spectateur attentif des événements de cette année cruciale dans l’histoire d’outre-Manche.

                                                                                                 

 

La radio, arme de guerre de la famille royale

Désormais obligé de se prononcer, le roi soigne ses problèmes d’élocution pour parler à son peuple. Le règne de George VI est d’ailleurs marqué par l’un des plus grands événements de l’histoire du XXe siècle : le second conflit mondial. Le roi, aux côtés de son Premier Ministre Winston Churchill, se place comme l’un des plus fervents combattants de l’Allemagne nazie. Décidé à défendre son royaume, George VI sait se servir de ce moyen simple de communication pour s’adresser aux Britanniques.

Par la radio, il annonce à son peuple l’entrée en guerre du Royaume-Uni le 3 septembre 1939 par un discours brillant d’émotion. Tout au long du conflit, ce roi bègue, à qui l’on demande d’accomplir un effort pharaonique, accumule les discours d’encouragement envers ces Britanniques qui affrontent l’ennemi nazi avec courage. Les paroles du roi rassurent. Il convainc le monde que la Grande-Bretagne est déterminée à inculquer une farouche défaite à Adolf Hitler.

Mais le roi n’est pas le seul à faire entendre sa voie pour lutter contre l’ennemi. En 1940, la jeune princesse héritière Elizabeth, âgée de 14 ans, prononce son premier discours radiodiffusé. Sa voie frêle vient rassurer les enfants expatriés de Londres pour des raisons sécuritaires.

« Nous essayons de faire tout ce que nous pouvons pour aider nos valeureux marins, soldats et aviateurs et nous essayons également de porter notre part du danger et de la tristesse de la guerre. Nous savons, chacun de nous, que tout se terminera bien. »

Après avoir suivi la poursuite du conflit durant six années par de nombreux discours, le 8 mai 1945 George VI peut enfin le dire : l’Allemagne a capitulé.

« Aujourd'hui, nous remercions Dieu tout-puissant pour une grande délivrance. En parlant de la plus ancienne capitale de notre Empire, battue par la guerre mais jamais un seul instant découragée ou consternée, je vous demande de vous joindre à moi pour remercier Dieu. »

 

Jusqu’au bout, la parole royale permet la poursuite du conflit. Sans l’intervention radiophonique de George VI, la volonté de fer du peuple britannique dans ces heures sombres et destructrices n’aurait été si forte. La parole du roi compte, mais son image également. Le milieu de XXe siècle voit arriver un nouvel appareil qui révolutionne une nouvelle fois la politique médiatique de la famille royale. La télévision oblige peu à peu de réformer la vision populaire de cette institution. L’audiovisuel fait entrer la monarchie dans l’ère de la modernité. L'image et le son font désormais partie intégrante de la politique royale. 

 

La suite dans la partie 2.

 

Sources :

  • Interview de Sir Peter Westmacott, ambassadeur de Grande-Bretagne en France, au Figaro, 2011.
  • Sarah Bradford, King George VI, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1989.
  • Kenneth Rose, King George V, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1983.
  • Jacques de Langlade, La reine Victoria, Paris, Perrin, 2009.
  • Gabriel Thoveron, Histoire des médias, Paris, Le Seuil, 1997.
  • Jean-Noël Jeanneney, Une histoire des médias, Des origines à nos jours, Paris, Le Seuil, 1996.