Anna Guérin, la french lady du Poppy
Un symbole britannique
Chaque année au 11 novembre, jour de la mémoire combattante (Remenbrance Day), l'ensemble de la société britannique arbore un coquelicot de papier à la boutonnière, le Poppy. La reine Elizabeth est la première à accomplir ce geste, qui fait absolument consensus au sein de l'ensemble de la population, médias compris. Dès lors associé à la culture anglo-saxonne, ce symbole de la solidarité nationale d'avec les anciens combattants et les victimes de guerre est né durant la première guerre mondiale, inspiré du poème composé dans les Flandres par un médecin militaire canadien, John McCrae (In Flanders fields) et renvoyant autant à cette fleur qui poussait dans les tranchées qu'au sang des Poilus. Le port du coquelicot fut initié par une Américaine, Moina Michael, mais c'est une Française qui eut l'idée d'associer ce symbole à une oeuvre de solidarité et d'instaurer une date anniversaire du souvenir militaire dans les calendriers officiels des pays alliés.
Cette femme, c'est Anna Guérin, originaire de Vallon Pont-d'Arc en Ardèche.
Une conférencière de charme
Née le 5 février 1878 dans une famille paysanne des Cévennes ardéchoises, de tradition protestante, Anna Boulle bénéficia de la politique scolaire de
La même année, elle décide de reprendre sa liberté et divorce. Elle se remarie deux ans plus tard avec un magistrat, Eugène Guérin, d'origine alsacienne. Les nouveaux époux s'installent à Paris, où Anna Guérin décide de demeurer après la mutation de son mari en Afrique occidentale. Célibataire géographique, elle décide alors de partir pour le Royaume-Uni, se faisant agréger comme enseignante au sein de l'Alliance française. Elle intervient dans ne nombreux établissements d'enseignement, publics et privés, et développe en parallèle une activité de conférencière sous le pseudonyme de "Sarah Granier", n'hésitant pas à se produire costumée en Jeanne d'Arc, Marie-Antoinette ou Joséphine de Beauharnais, dont elle raconte l'histoire avec passion...
Une pasionaria de l'humanitaire
Le déclenchement de la première guerre mondiale provoque l'envoi d'Eugène Guérin aux armées. Son épouse décide alors de quitter
Après l'Armistice, Anna Guérin créée la "Ligue interalliée des enfants", patronnée par l'Etat français, et elle adopte comme insigne la fleur de coquelicot, mise à la mode aux USA par une responsable des jeunesses chrétiennes protestantes (YMCA), Moïna Michael. De retour à New-York au printemps 1919 - elle aura traversé neuf fois l'Atlantique depuis le début de la guerre -, madame Guérin reprend ses tournées, qui deviennent de meetings en faveur des emprunts de
En septembre 1920 à Cleveland, elle propose à l'American Legion d'adopter le Poppy comme emblème et lance l'idée d'une "journée interalliée du coquelicot". A la fin de l'année, Anna Guérin rentre en France pour présenter
Au printemps 1921, depuis New-York, madame Guérin formule l'idée d'une Journée du Coquelicot qui sera commune aux Etats-Unis et à
Au mois de juin, madame Guérin se rend au Canada, où ses initiatives sont saluées et le principe du Poppy Day adopté - on lui commande deux millions de fleurs (les importations de coquelicots français perdureront jusqu'en 1926) -, puis elle part pour
Madame Guérin et la Royal British Legion
Au Royaume-Uni, les vétérans de
Embarquant à New-York sur l’Albanie, Anna Guérin arrive à Liverpool, le 29 août. De là elle prend le train pour Londres, s’installant à l’hôtel Piccadilly. Sa présence est vite connue de toutes les personnalités civiles et militaires, dont le colonel Charles Heath. Lady Poppy est reçue au grand quartier général britannique, où elle présente les coquelicots de soie fabriqués par les veuves et orphelins de guerre français et vendus au bénéfice de ces derniers. Désireux de vérifier l’authenticité des dires de la dame française, les représentants de
Le 16 septembre,
Pour sa première édition anglaise, le Poppy Appeal (devenu Remembrance Day), dépasse toutes les prévisions en termes de participation que de recettes financières. Les coquelicots en tissu sont tellement prisés qu’il s’en fabrique localement de toutes sortes, ce qui amène les organisateurs de la manifestation à envisager une confection nationale et contrôlée. Le 22 avril 1922,
Ainsi, l'idée novatrice et généreuse d'une Française expatriée aux Etats-Unis est reprise par l'ensemble des pays vainqueurs de
Disparue sous les bleuets
L'adhésion définitive des pays anglo-saxons au double concept "mémoire et solidarité" lancé par Anna Guérin avec les collecte du coquelicot le 11 novembre favorise très logiquement son inculturation en terme "industriel". Progressivement, les commandes des Etats-Unis, du Canada, de
Parallèlement, deux infirmières parisiennes, travaillant à l'institution des Invalides, Suzanne Leenhardt et Charlotte Malleterre, lancent la fabrication de bleuets en tissu et papier auprès des pensionnaires de l'établissement, que sont les blessés et mutilés de guerre. Avec le coquelicot, le bleuet est l'autre fleur des champs persistant à pousser en dépit des bombardements ; elle rappelle aussi la couleur de l'uniforme des Poilus... C'est le début de l'Oeuvre nationale du Bleuet de France, rattachée aujourd'hui à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG).
En outre, l'appétit de vivre et l'envie d'oublier le douloureux passé qui caractérise les Années folles pousse dans la coulisse les figures associées à la guerre. Donc Anna Guérin, qui rentre dans l'anonymat et qui entame une nouvelle carrière d'antiquaire, se partageant entre
Le 16 avril 1961 à Paris, Anna Guérin meurt dans l'anonymat le plus complet, au point qu'à ce jour, son lieu de sépulture demeure inconnu.
In memoriam
Le paradoxe n'est pas moindre qu'Anna Guérin est aujourd'hui davantage connue dans le monde anglo-saxon que dans son pays natal. Pionnière du charity business et du crowdfunding solidaire, elle mérite d'être honorée pour son action décisive dans la prise de conscience du devoir de solidarité à l'égard des anciens combattants et des victimes de guerre.
Le 8 mai 2021, une plaque à sa mémoire sera dévoilée à Aubigny-sur-Nère, petite cité franco-écossaise de Sologne (ancien fief des Stuarts), où une place lui sera dédiée.
Une première en France, que l'on aimerait voit imitée...
Claude Vigoureux
Date de dernière mise à jour : 28/07/2022
Commentaires
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- 1. Alain Degorgue Le 22/12/2021
Une première en France, lors de l'inauguration de la plaque dédiée à Anna Guérin le 11 Novembre 2021à Aubigny-sur-Nere, une première également ou le village de Annay (dans le Pas-de-Calais) à décidé de baptiser une Rue Anna Guérin pour la prochaine construction d'un lotissement prévu pour 2023..... a suivre pour l'inauguration.. -
- 2. Boulet Hélène Le 31/01/2021
Très bel article. Félicitations Monsieur Claude Vigoureux. Une équipe d’historiens locaux de la région de Montreuil sur Mer sommes très intéressés par l’histoire d’Anna Guerin qui a croisé le chemin du comte Douglas Haig , premier président de la British Légion, et lui a insufflé
l’idée des campagnes de vente de coquelicots en papier. Nous souhaiterions présenter une exposition sur cette dame et « ses » coquelicots lors de l’inauguration de la restauration de la statue du maréchal Douglas Haig à Montreuil sur Mer , programmée le 19 juin 2021.... -
- 3. Heather Johnson Le 05/01/2021
Merci beaucoup d'avoir évoqué Madame Guérin, La Dame du Coquelicot de France ("The Poppy Lady of France") ... un tel article contribue à porter ses réalisations à l'attention de vous qui ne peut rien sur elle. Merci beaucoup.
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