Les funérailles anglaises de l'impératrice Eugénie

La récente cérémonie des funérailles de la reine Elizabeth II est l'occasion d'évoquer les dernières pompes funèbres de la dernière monarchie française, à savoir le second Empire. Et c'est la terre anglaise qui en fut le cadre...

Dans les faits, cette « sortie de l'histoire » se déroula en trois actes : le premier en 1873 (funérailles de Napoléon III) ; le second en 1879 (funérailles du Prince impérial) ; le troisième en 1920 (funérailles de l'impératrice Eugénie). Dans les trois cas, la Couronne britannique était représentée, lors même que la dynastie napoléonienne n'était plus sur le trône de France.

 

Acte I : Chislehurst, 17 janvier 1873

Napoléon III souffrait en secret depuis longtemps de problèmes néphrologiques, qui auraient dû lui interdire de partir au front durant la guerre franco-prussienne. A son retour de captivité, l'adoption d'une vie bourgeoise exempte d'obligations protocolaires n'avait pas suffi à calmer ses douleurs, et les médecins avaient conclu à la nécessité d'une intervention chirurgicale sous anesthésie, laquelle révéla la présence d'un énorme calcul dans la vessie. Mais le malade ne survécut pas à l'opération et rendit l'âme le 9 janvier 1873 à 10 h 45, dans sa chambre du manoir de Camden Place à Chislehurst (dans la banlieue de Londres).

Lorsque la reine Victoria est informée de la mort de Napoléon III, elle se précipite sur son écritoire et adresse à l'impératrice Eugénie un message de sympathie très ému :

« Ma pauvre chère sœur, les mots me manquent pour exprimer à Votre Majesté à quel point je me sens concernée par votre si terrible malheur et combien je suis douloureusement consternée par cette triste nouvelle... Je n'oublierai jamais la gentillesse constante de l'Empereur chaque fois que j'ai eu le plaisir de le voir, et les jours que nous avons passés ensemble en Angleterre et en France ne s'effaceront jamais de mon cœur. »

 Et dans son journal, elle confiera le soi-même :

« J'avais beaucoup d'amitié pour le pauvre Empereur qui était si aimable et gentil et a supporté ses terribles malheurs avec tant d'humilité, de dignité et de patience. Il a été un allié tellement fidèle de l'Angleterre... »

Le 11 janvier, le prince de Galles vient s'incliner devant la dépouille de Napoléon III. Ayant exprimé auprès de sa mère son souhait d'assister aux funérailles de l'Empereur, il se voit opposer un refus du Gouvernement, qui redoute un problème diplomatique avec la France républicaine si d'aventure, les obsèques étaient l'occasion pour les Français qui seraient présents de proclamer l'avènement de « Napoléon IV».

L'héritier de la couronne britannique se souvenait des moments joyeux et de l'accueil chaleureux de l'Empereur, et il tint à manifester sa peine et sa reconnaissance et revenant à Camden Place la veille des obsèques, le 14 janvier, accompagné de son beau-frère  le prince de Schleswig-Holstein, afin de présenter leurs condoléances à l'Impératrice. Prenant dans les bras le Prince impérial, il lui déclare :

« Je vous plains, car je sais moi-même ce que vous devez souffrir ».

Le jour dit, la reine Victoria est officiellement représentée en la personne de son Grand Chambellan, lord Sydney et par lord Suffield. Dans l'imposant cortège marchent aussi le lord-maire de Londres (lord Cowley) accompagné shérifs et sous-shérifs de la capitale anglaise, ainsi que huit camarades du Prince impérial (à Woolwich). Présente à la cérémonie, lady Cowley rapportera à la Reine que « toute la pompe d'obsèques à Notre-Dame n'aurait pu égaler la scène de la petite église », tant étaient fortes la ferveur et l'émotion des très nombreux participants (60 000 personnes), tant français que britanniques.

Le journal The Times résumera ainsi la cérémonie :

« Aucun souverain, mourant dans son palais, n'a jamais rencontré une reconnaissance plus absolue de son rang suprême. Dans cette modeste maison de campagne, on retrouvait les Tuileries de 1870 ».

Le même jour à Londres, des messes étaient célébrées à la mémoire de Napoléon III dans tous les lieux de culte (églises et temples), le célébrant de l'office en la cathédrale Saint-Paul déclarant :

« Bénissons la mémoire de l'Empereur, cette mémoire qui ne s'effacera jamais. »

 

Acte II : Chislehurst, 12 juillet 1879

Après la mort de Napoléon III, les relations devinrent encore plus intimes entre la famille impériale de France et la famille royale d'Angleterre. L'engagement du Prince impérial (l'héritier de Napoléon Ier !) au sein de l'armée britannique l'illustrait de façon spectaculaire.

Engagé sur un dangereux théâtre d'opérations au Zoulouland (Afrique du Sud), Napoléon IV devait y périr, les armes à la main, notamment du fait de l'abandon de son garde du corps, le capitaine Carey. Aussi, lorsque ma famille royale anglaise apprit cette nouvelle, un sentiment de honte et de culpabilité accompagna la peine profonde qu'elle ressentit ; la reine Victoria ayant beaucoup d'affection pour le Prince impérial (projetant même d'en faire l'un de ses gendres), le prince de Galles éprouvant le sentiment de perdre un parent et un compagnon d'armes.

Quand on ouvrit le testament du jeune Napoléon IV, on put lire :

« Je mourrai avec un sentiment de profonde gratitude
Pour sa Majesté la reine d'Angleterre,
Pour toute la famille royale,
Et pour le pays où j'ai reçu pendant huit ans
Une si cordiale hospitalité ».

C'est pourquoi, à la demande de l'héritier de la couronne britannique, c'est sur un navire de guerre, et accompagnée des honneurs militaires les plus élevés, que la dépouille du fils de Napoléon III fut rapatriée en Grande-Bretagne. Depuis sa descente du navire dans le port de Plymouth (où 23 coups de canons avaient salué son arrivée) et tout au long du trajet (un yacht de l'Amirauté ayant pris le relais jusqu'à l'estuaire de la Tamise, à l'arsenal de Woolwich), le cercueil fut escorté comme s'il se fût agi d'un membre de la famille royale. A l'arsenal, le cercueil du prince français est déposé sur un affût de canon tiré par six chevaux – un protocole identique a été suivi pour le cercueil d'Elizabeth II -, pour être ainsi conduit jusqu'à Chislehurst. Tout au long du chemin, la population manifeste son émotion et sa sympathie...

Le 18 juillet 1879, jour des funérailles à Chislehurst, la famille royale d'Angleterre est présente. La reine Victoria, la princesse de Galles et les princesses Alice et Béatrice assistent à la levée du corps depuis une tribune voilée de noir élevée sur la façade du manoir de Camden Place ; leur confession anglicane ne leur permettant pas d'assister à la messe de funérailles (catholiques). Le prince de Galles (en grand uniforme, arborant un brassard de deuil), le duc de Connaught et le duc de Cambridge tiennent les cordons du poêle aux côtés des Français le duc de Bassanon et l'ancien ministre Rouher. L'héritier de la Couronne britannique Il avait fait apporter une couronne de lauriers et de marguerites barrée d'un ruban portant ces morts :

« Témoignage d'affection et d’estime pour celui qui vécut la vie la plus pure et qui eut la mort d'un soldat en combattant pour notre cause dans le Zoulouland, Albert Edouard et Alexandra ».

La reine Victoria décida d'installation d'un gisant du Prince impérial au sein de la chapelle royale de Windsor, gisant financé par une souscription nationale. Quant au prince de Galles, il rejoignit le comité créé pour l'édification d'une statue à la mémoire du Prince impérial au sein de l'académie militaire de Woolwich, statue qu'il inaugura en personne le 3 janvier 1883.

 

Acte III : Farnborough, 27 juillet 1920

C'est à Madrid, chez son neveu le duc d'Albe, que mourut l'impératrice Eugénie. Une messe de funérailles grandiose fut célébrée, le gouvernement français étant représenté par un simple attaché d'ambassade, Robert Chapsal, un drapeau tricolore étant d'abord posé sur le cercueil. Drapeau qui est remplacé par un drapeau anglais du fait de l'abbé de Farnborough, où la défunte doit être inhumée aux côtés de Napoléon III et du Prince impérial. Si le convoi mortuaire a été autorisé à traverser la France, en revanche nul hommage officiel ne lui est accordé. L'accueil en Angleterre est bien différent, ce dont témoignent les photographies de l'époque...

Sur ces images, on reconnaît la reine Mary (au premier plan) et le roi d'Angleterre George V descendant le perron aux côtés du prince Victor Napoléon, suivis de la princesse Napoléon à la suite du roi d'Espagne Alphonse XIII. A noter que pour les funérailles de l'ancienne souveraine française, l'ambassade n'était pas représentée...

Aujourd'hui, le silence de la crypte de l'abbaye de Farnborough a succédé aux pompes funèbres qui conclurent l'existence de trois êtres indéfectiblement liée à l'histoire franco-britannique.