Les souverains français exilés en Angleterre

Pendant plusieurs siècles, la France et l’Angleterre combattirent avec acharnement pour prendre le pas sur l’autre. Mais ces ennemis héréditaires ont fini par mettre la hache de guerre de côté. Terre d’Albion, l’Angleterre fut aussi celle de l’exil des têtes couronnées européennes. Et la France ne fit pas exception. C’est cette histoire que nous allons vous raconter. Celle de destins français exilés en Angleterre.

 

Louis XVIII, le roi errant

Le comte de Provence est le frère cadet de Louis XVI. Celui qui s’oppose aux réformes de Turgot, Necker puis Calonne, doit fuir ensuite les révolutionnaires qui veulent la peau des membres de la famille royale. Le comte de Provence n’a pas le choix. Il fuit la France en direction des Pays-Bas autrichiens en 1791. Commence pour lui une vie d’exil où l’Europe devient sa maison.

Il passe par Bruxelles puis l’électorat de Trèves où il apprend l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793. Il se proclame lui-même régent de son neveu devenu Louis XVII pour les royalistes. Mais le garçonnet rend son dernier souffle en 1795 à la prison du Temple. Le comte de Provence devient le nouveau prétendant au trône sous le nom de Louis XVIII.

Sa vie d’errance se poursuit pendant près de 15 ans alors que Napoléon Bonaparte prend le pouvoir. Il vit au duché de Courlande où il participe à l’aboutissement du traité de Tilsit en 1807 où la France et la Russie deviennent alliés. Sa présence en Courlande devient gênante. Louis XVIII doit choisir une nouvelle destination. Ce sera l’Angleterre.

Mais le gouvernement britannique lui refuse le titre de roi. Il débarque donc en Angleterre sous le nom de comte de Lille et promet de ne pas faire d’actions politiques sur le sol britannique. Louis XVIII s’établit en 1807 à Gosfield Hall dans l’Essex. Deux ans plus tard, il déménage pour Hartwell House dans le Buckinghamshire, propriété de sir Henry Lee. C’est entre ces murs que son épouse Marie-Joséphine de Savoie rend son dernier souffle en 1810. Louis XVIII vit alors entouré de 200 partisans qu’il loge dans les nombreuses chambres du domaine. Cette villa au style jacobéen devient le théâtre des complots politiques de Louis XVIII pour retrouver son trône.

Le roi exilé doit attendre 1814 et la Première Restauration pour pouvoir être coiffé de la couronne de France. Mais au terme de 11 mois de règne, Napoléon revient de l’île d’Elbe où il avait été exilé pour reprendre le pouvoir pendant cent jours. La Seconde Restauration sera la bonne. Louis XVIII met fin définitivement à ses années d’errance et à son exil anglais pour régner sur la France pendant neuf années.

 

Charles X, l'Ecosse comme refuge

Louis XVIII meurt sans héritiers en 1824. Son frère cadet le comte d’Artois lui succède sous le nom de Charles X. Mais avant de devenir roi de France, Charles X était un prince de sang frère de Louis XVI qui fut lui aussi un prince exilé.

Alors que la Révolution ravage la France royale, le comte d’Artois ne met pas longtemps à fuir le royaume. Il est en fait l’un des premiers membres de la famille royale à émigrer. Dès le 16 juillet 1789, il part parcourir l’Europe pour trouver des défenseurs de la cause des Bourbon. En 1791, il débarque en Grande-Bretagne accueilli par George III qui l’autorise à vivre au palais de Holyrood d’Edimbourg. Arrivé en Angleterre, le comte d’Artois ne pense qu’à une chose : prendre part à l’armée constituée par les Britanniques pour attaquer la France révolutionnaire. Avec le comte de Provence, il dirige cette armée jusqu’en 1794 où il doit partir prendre part aux guerres de Vendée.

En 1799, déçu par la défaite des Vendéens, le comte d’Artois traverse la Manche pour s’installer à Londres. Il vit d’abord au numéro 46 Baker Street avant de s’installer en 1805 au 72 South Audley Street. Pendant ses années anglaises, le comte d’Artois œuvre pour le retour au pouvoir de son frère le comte de Provence. A l’avènement de la Restauration des Bourbon en 1814, il quitte Londres et retourne vivre en France.

Artois se distingue de Louis XVIII pour son attachement aux vieilles mœurs et à la restauration de l’ancien régime des trois ordres. Alors que Napoléon revient au pouvoir pendant cent jours, il part à nouveau en exil. Il revient enfin en France à la Seconde Restauration.

Lorsque Charles X monte sur le trône, il montre rapidement son esprit ultra-royaliste attaché aux mœurs de l’Ancien Régime. Son couronnement est la représentation même de l’esprit de son règne. Mais Charles X n’a pas compris que le temps n’est plus à l’Ancien Régime, la Révolution est passée par là. En juillet 1830, une nouvelle révolution se soulève et pousse le roi à abdiquer en faveur de son fils le duc d’Angoulême. Mais ce dernier abdique à son tour quelques minutes plus tard. Charles X doit partir à nouveau en exil avec ses proches.

Pour lui succéder, son cousin le duc d’Orléans est désigné comme roi des Français et prend le nom de Louis-Philippe Ier. Alors que s’installe la Monarchie de Juillet, Charles X s’exil en Ecosse sous le nom de comte de Ponthieu. Guillaume IV l’autorise à vivre à nouveau au palais de Holyrood. Mais il le quitte définitivement en 1832 pour vivre ses derniers jours en Autriche.

 

Louis-Philippe Ier, les derniers jours anglais

Fils du duc d’Orléans, et descendant en ligne direct de Monsieur frère de Louis XIV, Louis-Philippe est un prince charismatique. Partisan de la Révolution, il tente de convaincre son père Philippe Egalité de ne pas participer au procès de Louis XVI. Mais Philippe Egalité vote la mort de son cousin. Ce régicide poursuivra Louis-Philippe jusqu’à sa mort.

Alors que son père finit guillotiné en 1793, Louis-Philippe fuit la France qui s’enfonce dans la Terreur. Sept années durant, le prince erre dans toute l’Europe, allant même jusqu’à traverser l’Atlantique pour s’installer pendant quatre mois à Philadelphie. En janvier 1800, il s’installe en Angleterre.

Pendant ses années d’exil anglais, Louis-Philippe apprend et admire le système monarchique parlementaire britannique. A ses yeux, la monarchie britannique devient très vite le système politique idéal pour la France postrévolutionnaire. Il se rapproche finalement de la famille royale britannique. George III va même jusqu’à imaginer un mariage entre Louis-Philippe et sa fille la princesse Elizabeth, malgré la réputation de la famille d’Orléans qui a participé à la mort de Louis XVI. Mais Louis-Philippe ne veut pas de ce mariage. Il fuit donc l’Angleterre en 1809 pour se réfugier en Sicile où il épouse Marie-Amélie de Bourbon.

Le duc d’Orléans ne reste pas dans l’ombre très longtemps. Il revient en France au moment de la Restauration de la monarchie. Alors que la France tombe une nouvelle fois dans une révolution en juillet 1830 pour s’opposer à la monarchie autoritaire de Charles X, le roi abdique finalement le 29 juillet en ordonnant à son fils de faire de même. Charles X lègue sa couronne à son petit-fils le comte de Chambord. Il charge son cousin Louis-Philippe d’informer le parlement de sa décision. Mais le duc d’Orléans n’en fait rien. Il est alors désigné roi des Français.

Le nouveau monarque a un grand projet diplomatique pour la France. Grand anglophile, il veut mettre fin à cette tradition de guerres contre le Royaume-Uni. Il désigne comme ministre des Affaires étrangères un homme qui partage son amour pour l’Angleterre, François Guizot. Avec Lord Aberdeen, Guizot réussit à organiser le premier rapprochement franco-britannique. La jeune souveraine qui règne sur l’Angleterre en ce milieu de XIXe siècle Victoria est extrêmement francophile. Et Victoria est une reine pressée. Au terme de deux années de négociations seulement, elle suggère une rencontre avec le roi des Français Louis-Philippe Ier. Le 2 septembre 1843, les deux souverains se retrouvent à Eu en Normandie, dans le domaine privé de la famille d’Orléans.

Le roi bourgeois rencontre une reine protocolaire. Mais entre eux, une véritable admiration apparait. Louis-Philippe aime la majesté de Victoria, tandis que la souveraine respecte ce grand homme de soixante-dix ans. Charmé, le roi des Français se rend un an plus tard à Windsor où Victoria lui offre le titre de chevalier de l’ordre de la Jarretière, l’ordre de chevalerie le plus noble d’Angleterre. Les deux monarques s’entendent si bien qu’une seconde visite au château d’Eu en 1845 est organisée. Une véritable alliance semble se dessiner. Mais la France et l’Angleterre n’ont rien le temps de signer. Louis-Philippe est poussé à son tour à l’abdication en 1848.

Pour aider son ami, la reine Victoria lui propose l’asile au Royaume-Uni. La famille d’Orléans se réunit alors dans la propriété de Claremont. C’est entre ces murs que le monarque déchu rend son dernier souffle le 26 août 1850.

 

Napoléon III, l'ami de l'Angleterre

Alors qu’une république succède à la monarchie de Juillet, Victoria n’a pas oublié ses projets d’alliance franco-britannique. Mais en 1852, Napoléon III s’impose comme le nouvel empereur. Encore fidèle à la famille d’Orléans, Victoria a du mal à s’imaginer signer une alliance avec le neveu de Napoléon Ier, le petit caporal qui a tenté d’envahir l’Angleterre. Et pourtant, c’est véritablement avec cet homme et son épouse Eugénie que la reine Victoria et son époux Albert ont véritablement tissé des liens d’amitié.

Napoléon III est en manque de reconnaissance internationale, et quelle nation est assez puissante pour légitimer son coup d’Etat ? La Grande-Bretagne bien-sûr. Le couple royal est d’abord réticent à rencontrer le couple impérial. Mais après s’être alliés en 1854 pour la guerre de Crimée, Napoléon III et la reine Victoria se rencontrent finalement pour la première fois le 17 avril 1855 à Windsor.

Napoléon n’est pas dépaysé en débarquant en Angleterre. Il avait vécu une partie de son enfance à Londres alors que les Bonaparte étaient interdits de séjour français. C’est également en Angleterre qu’il se réfugie après ses coups d’Etat manqués. Comme Louis-Philippe avant lui, Napoléon admire le système monarchique anglais.

A Windsor, Napoléon III dévoile tout son charme et séduit la jeune reine. Pour ce faire, il sait que la reine est très éprise de son époux. Pour la séduire, il porte son attention sur le prince. Les deux hommes s’entendent à merveille. C’est un triomphe pour Napoléon III qui est lui aussi fait chevalier de l’ordre de la Jarretière avant de retourner en France. Les deux couples se promettent de se revoir.

Quatre mois plus tard, Victoria et Albert, accompagnés de leurs deux aînés, sont invités à visiter l’Exposition universelle de Paris. La Ville Lumière est en liesse pour accueillir cette jeune et populaire souveraine. Napoléon III a fait restaurer le château de Saint-Cloud spécialement pour l’occasion et selon les goûts de la reine. L’empereur veut éblouir ses hôtes et enchaine les festivités tels des bals à l’Hôtel de Ville de Paris et au château de Versailles. Le séjour s’achève par un hommage rendu à Napoléon Ier aux Invalides. Victoria repart de sa visite en France enchantée. Pour elle, c’est une certitude. Napoléon III est désormais un ami qui s’alliera au Royaume-Uni.

Mais là encore, l’empereur n’a pas le temps de signer une alliance. Il est renversé suite à sa défaite contre la Prusse en 1870. Il doit fuir la France pour sauver sa vie et celle de sa famille. Comme pour Louis-Philippe, la reine Victoria octroi l’asile à l’ancien empereur en lui offrant Chislehurst. La reine rend souvent visite à ses amis français avant que Napoléon III ne rende son dernier souffle en 1873. Dévastée, elle organise des funérailles quasi nationales et n’hésite pas à prendre le deuil pendant douze jours. Elle prend soin de sa veuve et de son fils unique à qui elle autorise de rentrer dans l’armée britannique. Mais le jeune prince impérial meurt en combattant les zoulous en 1879. La famille impériale repose aujourd’hui encore à l’abbaye catholique anglaise Saint-Michel fondée spécialement par l’impératrice Eugénie.

 

Nos derniers souverains français ont forcément passé une partie de leur vie sur le sol britannique. Terre d’exil, l’Angleterre est une nation de secours quand nos souverains se trouvent en danger. L’Angleterre a su enterrer des siècles de conflits pour fonder dès 1904 l’Entente cordiale entre nos pays voisins et qui résonne encore de nos jours malgré les vicissitudes du temps.