La vie de la famille d'Orléans en exil en Angleterre

« J'abdique cette Couronne que la voix nationale m'avait appelé à porter. » Par une plume hâtive, le roi Louis-Philippe Ier met un terme à dix-huit années de règne le 24 février 1848 avant de fuir Paris une nouvelle fois malmenée par une révolution. A bord d’une voiture banale, il se rend sous le nom de « Mr. Smith » au Havre pour embarquer sur un navire le 2 mars en direction de l’Angleterre. Le roi déchu arrive sur le sol britannique et se tourne désormais vers une nouvelle vie ; une existence d’exilé placée sous la protection de la femme la plus puissante de son temps. Voici l’histoire anglaise de la Maison d’Orléans, dernière famille royale française.

 

Les premières années anglaises de Louis-Philippe

Quand Louis-Philippe arrive en Angleterre, il n’est pas en terre inconnue. En janvier 1800, il a 27 ans lorsqu’il s’installe avec ses frères, le duc de Montpensier et le comte de Beaujolais, à Twickenham. Ils louent Highshot House, un immeuble de banlieue londonienne aujourd’hui disparu. Les princes vivent depuis la Terreur en errance à travers l’Europe et l’Amérique. Leur éducation soignée et leur grande intelligence leur permettent d’être rapidement remarqués à travers les sphères de la haute société britannique. Ils mènent une vie mondaine très active en étant entourés d’immigrés français de haut rang comme Louis-Charles-Rosalie de Rohan-Chabot de Jarnac. Le Prince Régent les reçoit même dans son fabuleux Pavillon de Brighton.

Sur les trois frères d’Orléans, Louis-Philippe se démarque particulièrement. Il est conscient qu’il doit beaucoup à la protection que lui accorde la famille royale anglaise. « Je suis un prince français, mais je suis aussi anglais, ceci par nécessité, car personne ne sait plus que moi que l’Angleterre est le seul pouvoir qui puisse me protéger. » George III et les siens l’apprécient. Le jeune prince français a même des vues sur la princesse Elizabeth. Mais la reine Charlotte lui fait rapidement comprendre que sa religion et son manque de statut sont des obstacles insurmontables vis-à-vis d’une perspective de mariage.

En 1807, le duc de Montpensier meurt de la tuberculose à Salthill. Le duc de Kent était très proche de ce dernier, au point qu’il réussit à obtenir auprès du roi George l’autorisation d’organiser des funérailles grandioses en l’abbaye de Westminster et la possibilité de l’inhumer dans cet édifice si attaché à l’histoire britannique. Aujourd’hui encore, le duc de Montpensier est le seul prince étranger à reposer à Westminster.

Louis-Philippe doit malgré tout se marier, il en va de la pérennité de sa lignée. Il part alors en Sicile pour faire la cour à sa cousine Marie-Amélie de Bourbon-Siciles et l’épouse le 25 novembre 1809 à Palerme. Ensemble, ils ont dix enfants entre 1810 et 1824. 

Au moment de la restauration de Louis XVIII, Louis-Philippe et sa famille reviennent vivre en France. Mais le roi n’apprécie guère sa popularité grandissante. Le désormais duc d’Orléans se tourne à nouveau vers l’Angleterre et s’établie dans l’ancienne résidence du gouverneur Pitt à Twickenham. Cette demeure sera si marquée par son passage qu’elle portera ensuite le nom d’Orleans House. Avec son épouse, il continue à fréquenter la famille royale britannique et leurs proches comme le Prince Régent, les ducs de Clarence, d’York ou encore de Cambridge. En 1816, ils sont reçus par Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha et la princesse Charlotte dans leur résidence de Claremont où une fête pour les 21 ans de Marie-Amélie est organisée. La princesse Charlotte n’est autre que l’héritière de la Couronne anglaise. Dans son journal, Marie-Amélie note « la maison, située sur une élévation au milieu du parc, est vaste et commode ». Elle était loin de se douter que trente-deux ans plus tard, elle s’y installerait avec les siens pour vivre ses dernières années.

 

Louis-Philippe en Grande-Bretagne : entre espoir et désillusion

Louis-Philippe devient en 1830 le premier roi des Français. Mais après dix-huit ans de règne, la révolution le pousse à abdiquer. Quand le danger guette les Orléans, la reine Victoria écrit une lettre qu’elle transmet à l’ambassadeur britannique à Paris. Elle lui ordonne d’organiser la fuite de la famille royale vers ses îles. Victoria connaît bien les Orléans. Ils se sont rencontrés à trois reprises par le passé. En 1843, le roi anglophile avait accueilli Victoria et le prince Albert en son domaine familial d’Eu pour rapprocher la France avec le Royaume-Uni. Cette visite secrète fut un triomphe. Louis-Philippe avait 70 ans, quand Victoria en avait 24. Elle fut tout de suite admirative de ce grand homme charismatique qu’elle voyait tel un oncle affectueux, d’autant qu’ils ont des liens familiaux étroits grâce aux Saxe-Cobourg-Gotha. Un an plus tard, le roi des Français se rendit officiellement à Windsor où il fut fait chevalier de l’ordre de la Jarretière. Et en 1845, la reine Victoria a renouvelé son attachement pour le souverain en lui rendant une dernière visite à Eu.

En cette année 1848, Victoria met à disposition le domaine de Claremont pour permettre aux Orléans de s’établir confortablement en terre britannique. Claremont avait été un cadeau de la nation britannique à Léopold et Charlotte à l’occasion de leur mariage en 1816. C’est entre ces murs que la jeune princesse meurt un an plus tard après avoir donné naissance à un garçon mort-né. Après la mort de Charlotte, Léopold en avait gardé l’usufruit. La reine Victoria lui rendait d’ailleurs souvent visite pendant sa jeunesse et appréciait particulièrement ce domaine. Quand il devient roi des Belges en 1830, il déserte Claremont, et Victoria en profite pour y séjourner régulièrement notamment au moment de ses anniversaires. Léopold avait épousé en secondes noces en 1832 la fille de Louis-Philippe, Louise d’Orléans. Pour son beau-père, il s’accorde avec la reine Victoria à laisser Claremont à son entière disposition.

 Le lendemain de l’arrivée de la famille royale, Albert leur rend visite avec une lettre de la reine écrite en français « C’est des fonds de mon cœur que je me réjouis de vous savoir en sûreté à Claremont. Mes pensées vont à Votre Majesté pendant tous ces affreux jours et je frémis en pensant à tout ce que vous avez souffert de corps et d’âme. »

Louis-Philippe et Marie-Amélie s’installent avec toute leur famille, si chère à leurs cœurs. Bannis officiellement de la France le 26 mai 1848, les Orléans savent leur exil désormais permanent. Louis-Philippe devient irritable et frustré. La reine Victoria leur rend souvent visite, s’inquiétant de leur santé. Le 11 juin, elle décrit le couple royal ainsi : « J’ai vu le roi et la reine samedi, il a merveilleusement gardé son entrain et est tout à fait lui-même, mais elle souffre profondément et elle s’attire la plus grande sympathie et admiration. »

En octobre 1849, tous les membres de la famille d’Orléans tombent malade à cause de l’eau contaminée qui circule dans les canalisations en plombs de la demeure. Victoria leur envoie son médecin avant d’accourir à Claremont et de s’inquiéter de leur faiblesse respective. Mais la reine anglaise reste prudente avec ses hôtes français. Elle ne veut pas froisser la nouvelle république en place en France et demande souvent conseil auprès de ses ministres avant de les invités dans ses propriétés ou de leur rendre visite.

Marie-Amélie apprécie sa vie entourée des siens, sans se soucier du poids de la Couronne. Mais elle a du mal à vivre dans cette demeure où chaque recoin reflète le souvenir de la défunte princesse Charlotte qu’elle appréciait tant. Louis-Philippe maintient à Claremont une forme d’étiquette qui le réconforte dans sa position d’ancien monarque. Ensemble, les Orléans se changent les idées en visitant la Grande-Bretagne comme Battle Abbey ou encore le Pavillon de Brighton. 

 

Après la mort du roi, la vie continue

Le 25 janvier 1850, Louis-Philippe est reçu à Windsor par la reine Victoria. Elle décrit le roi ainsi : « il est triste de voir le pauvre Roi si changé, si silencieux, son esprit et sa grande vivacité totalement éteints ». L’ancien souverain perd le goût de vivre face à l’incertitude du destin de sa famille. Il rend son dernier souffle sept mois plus tard dans sa chambre de Claremont. Le lendemain, Victoria vient présenter ses condoléances. Le prince Albert propose même l’usage de la chapelle de Frogmore qu’ils font construire à Windsor pour l’inhumer dignement, mais Marie-Amélie refuse, préférant l’usage d’une chapelle catholique.

L’attention de la reine Victoria pour les Orléans ne meurt pas avec la disparition de Louis-Philippe. Elle marque les anniversaires de chacun d’entre eux en offrant des présents qui correspondent à chacune de leurs personnalités. Pour Noël et la nouvelle année, elle aime aussi les gâter. Au moment de la mort du roi, treize personnes vivent à Claremont, entourées de trente-huit serviteurs. Les temps ont changé désormais et l’étiquette est définitivement abandonnée. A Claremont, on s’occupe par de nombreuses balades dans le parc. Les femmes brodent et lisent beaucoup, notamment Walter Scott, quand les hommes chassent et s’informent en lisant les actualités françaises et britanniques. Ils parrainent aussi de nombreuses œuvres de charité tout en restant discrets dans leur existence anglaise. Des bals sont même organisés comme celui de 1865 où participent le prince et la princesse de Galles. Les Orléans entretiennent des relations étroites avec l’aristocratie britannique et avec les immigrés français favorables à leur cause.

Mais pour l’heure, il faut se changer les idées. En 1851, la reine Victoria et son époux Albert organisent la première Exposition Universelle de l’histoire. La reine tient à montrer cet événement dont elle est si fière. Elle les accueille en privé avec le prince consort au Crystal Palace qu’ils visitent avec un grand enthousiasme. Après Londres, chaque membre de la famille de France voyage pour oublier pendant un temps ses malheurs. Marie-Amélie se rend en Ecosse, les Nemours en Irlande et les Joinville en Italie.

La reine Victoria adore et soutient grandement ses amis d’Orléans. Mais la politique prend finalement le dessus. En 1852, la France devient à nouveau un empire. La reine n’apprécie pas Louis-Napoléon Bonaparte qu’elle considère comme un opportuniste. Mais son gouvernement est désireux de se rapprocher de cette nouvelle France alors que se prépare la guerre de Crimée. Bon gré mal gré, Victoria et Albert doivent accueillir l’empereur et son épouse à Windsor en avril 1855. Quatre jours avant l’arrivée du couple impérial, la souveraine invite en son château la reine Marie-Amélie : « La pauvre chère reine Marie-Amélie nous a rendu visite avec Clémentine. Elle était très bonne et très discrète, disant qu’elle ressentait profondément ma gentillesse. J’ai tant de sympathie pour elle. Nous étions tous les deux tristes de la voir partir dans un simple carrosse avec quatre misérables chevaux et de penser que c’est là, l’ancienne Reine des Français, qui, il y a six ans était entourée de la même pompe et grandeur qui appartient désormais à d’autres – et que dans trois jours nous recevrons avec tout le respect, la pompe et l’éclat possible l’empereur des Français, - exactement la même réception donnée ici à son mari défunt ! Maintenant, tout a été balayé. »

Si une amitié, profonde elle aussi, avec Napoléon III et Eugénie, naît cette année-là, les Orléans demeurent néanmoins présents dans le cœur de la reine Victoria. Elle accorde aux enfants de France la possibilité de suivre des études en Grande-Bretagne. Les fils des ducs d’Aumale, de Joinville et de Nemours partent ainsi à High School à Edimbourg puis à l’université d’Oxford en 1863.

 

La duchesse de Nemours, meilleure amie de la reine Victoria

S’il est un couple auquel la reine Victoria s’est particulièrement attachée, c’est bien le duc et la duchesse de Nemours. Avant même le début de l’exil des Orléans, la reine Victoria a commencé à entretenir une réelle amitié avec le duc. Le prince Louis était dépêché par son père pour resserrer davantage les liens entre la France et l’Angleterre dès l’accession au trône de Victoria en 1838. Nemours n’a que 21 ans cette année-là. Il est invité chaque semaine à Buckingham, assiste à des opéras et des pièces de théâtre avec la reine. Il est aussi invité à chaque dîner que donne la jeune souveraine en étant placé à ses côtés. « J’aime beaucoup le duc de Nemours. Il est doux, calme et cependant quand on le connaît, on lui trouve un sens de l’humour. » Pour son couronnement, elle s’inquiète de savoir s’il sera présent à titre privé ou officiel. Les deux jeunes gens sont de la même génération. Mais jamais il ne sera envisagé un quelconque mariage entre eux. Seule une amitié, aussi profonde soit-elle, les lie.

En 1840, la même année que le mariage de Victoria et Albert, le prince Louis épouse Victoire de Saxe-Cobourg-Gotha à Saint-Cloud. Elle est la nièce de Léopold Ier de Belgique et la cousine de Victoria. Une fois les Orléans arrivés en Angleterre pour débuter leur nouvelle existence d’exilés, Victoria et Victoire resserrent considérablement leurs liens. Victoire visite très souvent sa cousine à Windsor, Balmoral, Osborne ou encore Buckingham. Elles aiment passer du temps ensemble. Elles brodent, dessinent ou se baladent dans les parcs royaux. En 1852, la reine Victoria commande alors à son peintre favori Winterhalter un portrait d’elle et sa cousine qu’elle expose fièrement dans ses appartements d’Osborne House. Elles posent même ensemble devant un objectif. La reine est si contente du résultat qu’elle offre une photo à Victoire. Mais ces clichés demeurent perdus de nos jours.

La duchesse de Nemours donne naissance à trois enfants avant de tomber enceinte à nouveau au début de l’année 1857. Quatre jours avant l’accouchement, la reine Victoria arrive à Claremont pour l’assister dans cette épreuve. La petite fille, prénommée Blanche, naît le 28 octobre. Victoire n’arrive pas à se remettre de ses efforts et reste alitée. Finalement, elle meurt des suites de l’accouchement deux semaines plus tard à Claremont. Nous n’avons peu de mal à imaginer la peine de la reine Victoria en lisant son journal. « Notre Victoire tant aimée n’est plus !! […] Chère Victoire, qui était si bonne, un ange parfait, le réconfort et le bonheur de toute la maison, le plus doux, beau et tendre des êtres. […] Nous avions le même nom, nous nous sommes mariés au même moment, ses enfants sont nés en même temps que les nôtres. Nous avions été très intimes et nous l’avions vu si souvent depuis 1848. Malheureux Claremont. Seulement 5 jours plus tôt, il y a 40 ans, la malheureuse Princesse Charlotte y est morte en couches, avec son fils. »

Ensemble, la reine Victoria et le duc de Nemours pleurent la duchesse. Victoria ne peut se passer des souvenirs de son amie. Elle fait même installer des portraits d’elle dans sa garde-robe et dans son salon préféré du palais de Buckingham. Mais Victoria ne tourne pas le dos pour autant au duc. Elle lui offre en 1865 Bushy House, l’ancienne propriété de campagne de Guillaume IV située près de Hampton Court. Ils continuent à entretenir une relation épistolaire assidue. Quand le duc décide de faire ériger une nouvelle sépulture pour sa défunte épouse, la reine propose de la financer en partie mais il refuse. En 1881, elle va la visiter. « Avec Beatrice à l’église catholique de Weybridge. Là, sur le bord de la route, se dresse la nouvelle chapelle terminée il y a trois ans. Nous sommes entrées par une petite porte en bas côté et sommes tombées directement sur le gisant de ma Victoire chérie. Il est tout à fait splendide. »

En 1861, le prince Albert meurt prématurément à Windsor. La reine Victoria est dévastée par la perte de cet homme qu’elle a tant aimé. Tour à tour, chaque membre de la famille d’Orléans court à son chevet pour épauler la reine apeurée. Pour les Orléans, comme pour la reine Victoria, les heures sombres continuent à sonner.

 

Claremont, le tombeau anglais des Orléans ?

« C’est comme si Claremont devenait une tombe. » Les mots de la reine Victoria suffisent à résumer les malheurs qui ont frappés la famille d’Orléans au cours de leur exil anglais. La princesse Charlotte avait été la première à mourir à Claremont. En 1850, Louis-Philippe continue le bal macabre des décès entre ces murs. Deux ans plus tard, la duchesse d’Aumale donne naissance à François. Mais le bébé meurt à seulement trois mois à Claremont. En 1857 vient la terrible nouvelle du décès de la duchesse de Nemours.

La reine Marie-Amélie vit alors à Claremont dans une profonde mélancolie. Elle tient à être entourée de nombreux souvenirs et portraits des membres de sa famille défunts ou vivants. Aux yeux de Marie-Amélie, sa famille est son secours dans ses vieux jours. Elle écrit « J’ai occupé deux positions dans ma vie : Reine et Duchesse d’Orléans. Croyez-moi, la seconde est la meilleure. » La reine Victoria la considère comme une tante dont il faut prendre soin. Elle la gâte à chaque anniversaire. Pour son dernier, elle lui a même offert un coche pour un poney.

La vieille souveraine rend son dernier souffle le 24 mars 1866 à Claremont, mettant un point final au chapitre macabre du domaine. Le lendemain, la reine Victoria vient dire adieu à « sa chère amie vénérée ». Pour ses funérailles qui ont lieu le 3 avril, le prince de Galles et le duc de Cambridge représentent la reine Victoria lors d’une cérémonie plus fastueuse que celle accordée à Louis-Philippe.

 

Le duc d’Aumale : le prince mondain et influent de la famille

Le duc d’Aumale est bien le personnage clé de la famille d’Orléans après la mort de Louis-Philippe. Le prince Henri avait hérité du dernier prince de Condé une richesse considérable. Il a épousé en 1844 la princesse Marie-Caroline de Bourbon-Siciles. Si le duc reste auprès de ses parents du vivant du roi à leur arrivée en Angleterre, il ne fallut peu de temps pour qu’il prenne son propre envol. Il prend un pied-à-terre londonien au 23 Northumberland Street, un bâtiment aujourd’hui détruit. En 1853, les Aumale quittent Claremont définitivement et s’installent à Orleans House, l’ancienne résidence de Louis-Philippe à Twickenham lors de son premier exil anglais.

Aumale est le seul à avoir les ressources financières nécessaires pour mener sa propre vie indépendamment de celle entretenue à Claremont mais il rend visite très régulièrement à sa mère. Le bonheur et la vie de famille règnent à Orleans House. Le duc d’Aumale devient également ami avec Lady Waldegrave, riche propriétaire de la résidence voisine de Strawberry Hill. Le prince a ses entrées dans la haute société anglaise. Influent, il est invité dans toutes les grandes maisons de Grande-Bretagne comme Blenheim ou Althrop. Ils reçoivent aussi de nombreux amis français comme le peintre Edouard Odier. A Orleans House, il commence à réfléchir au meilleur moyen d’exposer sa fabuleuse collection d’œuvres d’art qu’il ne cesse d’enrichir.

Mais le grand malheur des Aumale repose sur leur incapacité à donner naissance à une nombreuse progéniture. La duchesse accouche de trois enfants mort-nés entre 1857 et 1864. A chaque malheur, le premier réflexe du duc est d’en informer la reine Victoria.

 Dans les premières années de l’exil des Orléans, la reine Victoria n’était pas proche de la duchesse d’Aumale. Mais avec le temps, elles apprirent à se connaître. En 1869, la duchesse meurt finalement à Orleans House.

Le duc d’Aumale a toujours été un homme qui aime profiter de la vie. En cela, il s’entendait parfaitement avec son proche ami le prince de Galles. Quand le duc fut autorisé à revenir en France, il l’invite souvent à Chantilly et passe beaucoup de temps avec lui à Paris à courir les bordels, les opéras et les cabarets.

Quand le duc d’Aumale vient à mourir à son tour le 7 mai 1897, le reine Victoria écrit dans son journal : « C’est si triste et je suis très peinée. Il était l’homme le plus charmant, très bien informé, intelligent, ouvert et agréable. Il écrivait bien et était bon et généreux pour toute sa famille, dont il était beaucoup aimé. Il projetait de rassembler tous les membres de la famille, jeunes et vieux, à Chantilly pour célébrer les 80 ans de Clémentine et maintenant ! Elle en parlait tant quand je l’ai vue à Cimiez. » Elle envoie un représentant à ses funérailles à la Madeleine à Paris en faisant déposer une gerbe avec l’inscription suivante : « Une marque de respect, d’affection et de sincère amitié, de la part de sa fidèle amie et cousine ».

 

Les dernières années des Orléans en Angleterre

A la mort de la reine Marie-Amélie, la reine Victoria récupère Claremont pour en faire l’une de ses résidences royales. En seulement quinze jours, tous les habitants du domaine qui l’occupent depuis dix-huit ans déménagent. Mais Victoria sauvegarde néanmoins sa promesse de protection envers la famille royale.

Le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe et nouveau chef de la Maison de France, continue à perpétuer la bonne relation avec la reine britannique. Par courtoisie, il lui envoie une copie de son Essai sur les associations ouvrières qu’il publie en juin 1867. L’année suivante, Victoria rend visite à la comtesse de Paris à York House à bord d’un carrosse dirigé par un certain John Brown, son fidèle serviteur et ami.

En 1871, à la suite de la chute du Second Empire, la loi d’exil des Orléans est abrogée. Ils peuvent rentrer en France. Avant de partir, chaque membre de la famille écrit ou rend visite à la reine Victoria en la remerciant pour son amitié et sa bonté pendant ces vingt-trois années d’exil. Elle leur suggère même de garder un pied-à-terre anglais pour leur permettre de garder contact.

Depuis la France, ils écrivent discrètement à la reine et leurs amis anglais comme Lady Waldegrave. Quand les corps des Orléans défunts sont transférés en 1876 à Dreux, Victoria se dit « triste qu’ils aient été retirés, mais cependant, c’est naturel ». 

Le comte de Paris est un homme ambitieux et populaire qui rêve de retrouver une place parmi les dirigeants de ce monde. Il organise en 1886 le mariage de sa fille Marie-Amélie avec dom Carlos, l’héritier de la Couronne de Portugal. L’union se déroule à l’hôtel Galliera à Paris dans un luxe ostentatoire aux yeux de la République française. Trop, au point qu’une nouvelle loi d’exil est votée. Encore une fois, la reine Victoria ouvre ses portes aux Orléans. Elle va même jusqu’à les inviter officiellement à assister à son jubilé d’Or l’année suivante. Elle intervient aussi personnellement pour que les fils du comte de Paris entrent à Sandhurst.

En ce début de décennie de 1890, les Orléans continuent à échanger avec la reine Victoria des cadeaux. Certains sont même conservés à Windsor. Au cours des années, Victoria leur envoie par exemple sa propre publication Leaves from the Journal of our life in the Highlands, des romans comme Vanity Fair, ou encore des photos de sa famille.

Albert Victor de Clarence, fils aîné du prince de Galles, est épris de la princesse Hélène d’Orléans, fille du comte de Paris. Le couple est reçu à Balmoral. Victoria apprécie particulièrement la douceur de la princesse. Elle se montre favorable devant cette union. Mais le comte de Paris refuse que sa fille se convertisse à l’anglicanisme, ce qui ruine toute perspective de mariage. Cette décision fait naître des tensions entre la reine et le chef de la Maison d’Orléans. Dans leur correspondance, le ton est très formel. Bien que la reine lui demande de l’appeler « tante », le prince ne le fit jamais. Néanmoins, Victoria garde une réelle affection pour Hélène. Cette dernière ne cesse d’ailleurs de la remercier pour « l’indulgence que la Reine a bien voulu avoir pour moi, et les bontés qu’elle m’a toujours témoignées et qui ont gravées dans mon cœur ».

En 1887, le comte de Paris rachète York House à Twickenham, où il est né, et loue le gigantesque et magnifique château de Stowe, où il meurt en 1894. En 1900, alors que l’Angleterre est engagée dans la guerre des Boers en Afrique du Sud, une caricature est publiée dans Paris Rire montrant le président Kruger mettre une fessée à la reine Victoria. Le nouveau chef de la Maison de France, le duc d’Orléans, est favorable aux Sud-africains et envoie une lettre de félicitations à Adolphe Willette, l’auteur de la caricature. Une crise diplomatique est née. Le geste indélicat du duc est universellement condamné comme un manque de respect envers son hôte qui lui accorde l’asile. Il perd ses entrées dans les clubs londoniens et doit se faire oublier. 

Au moment de la mort de la reine Victoria en janvier 1901, Edward VII continue à accorder l’asile aux Orléans. Mais pour ne pas froisser la France, un pays avec qui le nouveau roi est désireux de se rapprocher officiellement, les Orléans ne sont pas invités aux funérailles de la défunte reine le 4 février 1901. Neuf ans plus tard, c’est au tour d’Edward VII de disparaître. Pour ses funérailles, le duc d’Orléans représente alors les Français royalistes.

Les Orléans demeurent à Twickenham jusqu’en 1912, date à laquelle le duc d’Orléans déménage en Belgique. En 1910, c’est au tour de Manuel II de Portugal, petit-fils du comte de Paris, de s’exiler à Twickenham après avoir perdu son trône. Il s’installe avec sa mère Marie-Amélie là où ont toujours vécu les membres de sa famille jusqu’à sa mort en 1932. 

 

La vie des Orléans en Angleterre oscille entre espoir, déception, malheurs, bonheurs et amitiés. Cinq générations se sont succédées sur les terres de la reine Victoria pour représenter une famille qui compte dans la haute société européenne, même après la chute de la Monarchie de Juillet. Victoria s’impose telle une amie dévouée, attentionnée et protectrice pour tous les membres de la dernière famille royale de France. Preuve ultime de son amitié envers eux, elle dessine plusieurs d’entre eux et commande des portraits miniatures à William Charles Bell. De la vie des Orléans en Angleterre, il reste des monuments qui figurent comme les vestiges d’une vie tourmentée, loin de leur véritable patrie.