Elizabeth II et Margaret : deux soeurs pour une couronne

15 février 2002, toute de noir vêtue, la reine Elizabeth II sort de la chapelle Saint-George du château de Windsor. Une profonde tristesse envahit le regard de celle qui se refuse habituellement de montrer ses sentiments en public. Une semaine plus tôt, elle a perdu l’un des êtres qui lui sont les plus chers : sa sœur cadette Margaret. Les larmes de la souveraine de 75 ans montrent aux yeux du monde le lien si spécial qui unissait les deux femmes, et cela depuis leur tendre enfance.

 

Lilibet et Margaret, l'insouciance de l'enfance

Elizabeth voit le jour le 21 avril 1926. Premier enfant du prince Albert, duc d’York, et d’Elizabeth Bowes-Lyon, elle devient très vite l’enfant star du gotha. Quatre ans plus tard, la duchesse d’York donne naissance à une seconde petite fille le 21 août 1930 qu’elle prénomme Margaret-Rose. Quand l’aînée est rapidement surnommée Lilibeth, la seconde devient simplement Margaret. L’importance des fillettes pour l’avenir de la monarchie est réelle. L’héritier de George V, le prince de Galles Edward, n’ayant pas d’enfants, elles peuvent être amenées à devenir les uniques espoirs du vieux roi.

 

1936, le bouleversement des destins

Souvent habillées de la même manière, les deux sœurs se ressemblent et se montrent fusionnelles. Toujours ensembles, elles reçoivent une éducation identique conforme aux attentes du monde aristocratique auquel elles appartiennent. Respectivement troisième et quatrième dans l’ordre de succession au trône, leur destin semble tout tracé, en restant à l’écart du pouvoir. Mais en 1936 tout change.

Le 20 janvier, George V rend son dernier souffle. Il laisse la couronne à son fils aîné qui devient Edward VIII. Mais le jeune roi est amoureux d’une Américaine bientôt doublement divorcée, Wallis Simpson. Pour le gouvernement et la famille royale, il est impensable que le chef de l’Eglise d’Angleterre épouse une divorcée alors que le divorce n’est pas reconnu par l’Eglise. Un ultimatum tombe. Entre la couronne et la femme qu’il aime que choisir ? Pour Edward, ce sera Wallis. Il abdique le 11 décembre suivant en faveur de son frère cadet Albert qui devient George VI. Pour Elizabeth et Margaret, plus rien ne sera comme avant.

 

Des divegences naissantes

George VI et son épouse accordent beaucoup d’importance à leurs filles. Aux yeux du roi, Elizabeth est sa fierté, Margaret est sa joie. Il est conscient que ses deux filles ont développé des caractères différents. Quand son aînée est calme, sérieuse et pragmatique, sa cadette est une boule d’énergie espiègle et taciturne. Pour l’heure, Lilibeth et Margaret découvrent une différence de rang entre elles. Elizabeth est désormais l’héritière présomptive du trône. Elles grandissent toutes les deux avec cette conscience constante que l’une d’elle montera un jour sur le trône. Les deux princesses n’ont pas le même poids sur les épaules. Désormais, Elizabeth doit suivre des cours sur l’histoire et la constitution du Royaume-Uni, tandis que son père la prend sous son aile pour la préparer à son futur rôle de souveraine. Pour Margaret, on ne juge nullement nécessaire de lui inculquer de tels savoirs.

 

Ensemble contre tous

Les deux sœurs doivent affronter un premier orage. En 1939, la Seconde guerre mondiale éclate. La famille royale se dresse comme un symbole de résistance à l’ennemi nazi en restant au Royaume-Uni. Pour échapper aux dangers londoniens, elles sont envoyées vivre au château de Windsor où les fenêtres blindées, l’eau froide et le manque de chauffage font partie du quotidien. Plus que jamais soudées, c’est ensemble qu’elles affrontent ce conflit, tuant l’ennui en jouant des pièces de théâtre. Lorsqu’à 14 ans Elizabeth prononce un discours radiodiffusé aux enfants londoniens envoyés dans les campagnes anglaises pour fuir les bombardements, Margaret se tient bien évidemment à ses côtés. Finalement, le conflit prend fin en 1945 après que la princesse héritière se soit engagée dans l’armée.

La fin de la guerre permet à Elizabeth de vivre librement son idylle avec son cousin grec Philip Mountbatten. Elle finit par l’épouser en 1947 lors d’un mariage qui figure comme une parenthèse enchantée dans une Angleterre rationnée. Pour le plus beau jour de sa vie, la princesse choisit bien évidemment sa sœur pour être l’une de ses demoiselles d’honneur et être au plus proche d’elle. Elizabeth donne ensuite naissance à Charles en 1948 et Anne en 1950. Mais elle n’a pas le loisir de profiter de son bonheur familial.

 

La reine et la princesse, les premières années

Le 6 février 1952, alors qu’elle est avec Philip au Kenya pour une tournée destinée à promouvoir le Commonwealth, elle succède à son père et devient la reine Elizabeth II. Elle rentre en toute hâte en Angleterre prendre son destin en main et rejoint sa sœur, sa mère et sa grand-mère en tenues de deuil. Un an plus tard, Elizabeth II est sacrée en l’abbaye de Westminster dans un faste inégalé. Pendant la cérémonie de quatre heures, Margaret a la tâche de s’occuper de son neveu Charles tout juste âgé de 4 ans.

 

Le premier malheur de Margaret

Pendant les préparatifs de la cérémonie, Margaret informe sa sœur qu’elle souhaite se marier. A cette époque, tous les membres de la famille royale doivent obtenir le consentement du souverain pour se marier. L’heureux élu de son cœur est un certain Peter Townsend qui est déjà en pleine procédure de divorce avec sa première épouse. Ce capitaine de la RAF, héros de guerre, fut pendant plusieurs années l’écuyer de George VI. L’écart d’âge entre les deux amoureux et la situation de Townsend compliquent la décision de la reine. Elizabeth s’accorde un délai d’un an avant de se décider. Elle espère ainsi que cette relation s’essouffle d’elle-même. La reine voulait réellement accorder ce mariage à sa sœur. A ses yeux, son bonheur prime sur toute chose. Mais le divorce était là encore source de désaccord. Margaret, trop attachée à sa condition royale et à ses privilèges, décide finalement d’abandonner sa relation avec Townsend.

 

La reine du Royaume-Uni VS la princesse de la mode

Pendant les premières années du règne elizabethain, Margaret est la star rebelle des Windsor. Elle aime jouer avec les codes de son monde et s’affranchir des convenances. La sœur de la reine s’affiche publiquement en train de fumer, un acte jugé vulgaire. Elle boit beaucoup et passe ses nuits aux bras d’amants après avoir dansé pendant des heures. Mais Margaret aime sa condition royale et représente régulièrement sa sœur lors d’obligations officielles vêtues des plus belles robes Dior ou Yves Saint Laurent. Princesse de la mode, Margaret devient une icône bien avant la princesse Diana. Pour Elizabeth au contraire, les robes de bals, les tiares et autres bijoux, sont une armure qu’elle porte pour promouvoir la monarchie britannique à travers le monde. Dans un empire en proie à une mutation vers le Commonwealth, elle est le ciment entre ces peuples. Pour elle, elle doit être vue pour être crue et se crée un style bien particulier où les couleurs vives aux connotations politiques lui permettent de s’exprimer.

Alors que la reine s’impose aux yeux du monde comme l’incarnation d’une nouvelle ère pour l’Angleterre, Margaret consent enfin à se marier en 1960. Mais l’heureux élu n’est pas vraiment ce à quoi s’attendait Elizabeth II. Il s’agit d’Anthony Armstrong-Jones, un photographe mondain de renom. Avant de rendre public leurs fiançailles, Elizabeth II lui demande de patienter quelques mois. En effet, elle est au même moment enceinte du prince Andrew. Le mariage a finalement lieu le 6 mai 1960. C’est une première pour l’Angleterre. D’abord, parce qu’une princesse royale s’apprête à épouser un artiste, ensuite parce que la cérémonie est entièrement retransmise à la télévision, tout comme le couronnement huit ans auparavant.

Elizabeth II ne l’a jamais caché. Elle aurait préféré vivre calmement dans la campagne anglaise entourée de sa famille, de ses chiens et de ses chevaux. Mais le devoir est plus important que toute chose pour celle qui vit son règne comme un sacerdoce. Pour Margaret, les choses sont différentes. Elle apprécie particulièrement être au-devant de la scène et faire la une des journaux. Charismatique, elle captive le public au bras de son élégant photographe. Ensemble, ils ont d’ailleurs deux enfants en 1961 et 1964, quand le couple royal donne naissance à son quatrième enfant la même année.

 

La décadence de Margaret

Malgré sa petite famille, la vie de la princesse Margaret demeure toujours aussi mouvementée. Elle part souvent au théâtre ou en boîte de nuit et côtoie les plus grandes stars de son époque comme les Beatles. Pendant ses obligations, elle n’a aucun scrupule à montrer son ennui.

Elle achète en 1958 une villa sur l’île Moustique qui devient le théâtre de sa décadence. Sur cette île, elle enchaîne les amants alors que son époux cache mal lui aussi son infidélité. Tout va mal entre eux, au point qu’en 1978 ils finissent par divorcer. Elle est ainsi le premier membre de la famille royale à divorcer depuis Henri VIII. Elizabeth II pardonne les frasques de sa sœur et tente de la protéger au mieux qu’elle peut. Elle tente de faire arrêter son tabagisme et son alcoolisme et lui offre de nombreux conseils pour diriger sa vie, mais en vain. Margaret fait l’objet de nombreux scandales et critiques de la part des tabloïds où elle est régulièrement photographiée au bras d’un nouvel amant toujours plus jeune.

Avec le temps, les addictions de Margaret se sont accentuées alors que la reine doit affronter bien des tempêtes comme l’entrée dans la famille royale de Diana Spencer, le développement du Commonwealth, l’incendie du château de Windsor en 1992 ou encore les frasques de ses enfants. La santé de Margaret s’affaiblie et après un troisième AVC, elle rend son dernier souffle le 9 février 2002.

 

Malgré tous ces périples, Elizabeth II et Margaret sont restées toutes leurs vies extrêmement proches. Se soutenant continuellement, elles ont su ensemble affronter les changements de notre époque. Avec leur mère Elizabeth Bowes-Lyon, elles ont formé le trio féminin qui régna sur Buckingham pendant cinq décennies. Entre la reine consciencieuse à l’influence internationale et la princesse rebelle, leurs nombreuses différences ont formé le ciment qui fit de leur relation fraternelle un exemple pour beaucoup.