Le trio impérial, l'impossible entente

Le 6 mai 1910, George V monte sur le trône de Grande-Bretagne. L’empereur-roi se distingue de son père, Edward VII, par un tempérament réservé et pourtant imposant, grâce à son charme typiquement britannique. En ce début de XXe siècle, trois familles liées par le sang règnent sur les trois empires les plus puissants d’Europe : le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Russie. George V, Guillaume II et Nicolas II vont alors entrer dans un jeu diplomatique aux conséquences non négligeables.

 

L’empire qui dérange

Avant l’accession au trône de George V, Edward VII débute des rapprochements inédits pour le royaume de Guillaume le Conquérant. Fervent francophile, Edward passe de nombreuses soirées libertines dans les plus grands établissements parisiens alors qu’il n’était que Prince de Galles. Une fois devenu roi, le fils de la reine Victoria souhaite ardemment resserrer les liens avec l’ennemi héréditaire de son pays. Pour Edward, les querelles franco-britanniques doivent prendre fin. Il peut compter sur l’empereur Napoléon III qui veut sortir la France de son isolement dont elle s’est enfermée depuis la fin du Premier Empire.

Face à eux, l’Allemagne s’unifie et s’impose. Le 18 janvier 1871 Guillaume Ier de Prusse proclame l’empire allemand dans la Galerie des glaces de Versailles. Son chancelier et proche conseiller, Otto von Bismarck, lui conseille de mettre de côté le militarisme prussien pour faire du Reich une puissance économique et commerciale. Après le bref règne de Frédéric III, le kaiser Guillaume II devient le nouveau maître de l’empire. Décidé à faire de l’Allemagne une grande puissance, Guillaume II met à l’écart Bismarck et ses recommandations embarrassantes pour l’ambition impérialiste du kaiser. Dès 1888, le souverain, brouillon et inconstant, s’entoure de militaires. Il commence à développer la marine allemande dans le but de créer la plus grande flotte du monde. Les menaces envers la France, la Belgique, puis l’Angleterre se veulent alors grandissantes. Le Royaume-Uni ne peut se permettre de voir sa suprématie sur les mers bafouée. Guillaume II se met définitivement à dos Londres.

C’est dans ce contexte de montée en puissance de l’Allemagne, qu’Edward VII se rapproche de la désormais République française. Les deux pays signent une alliance militaire en 1904 appelée à perdurer : l’Entente cordiale. Mais le règne du vieux roi Edward est court. Six ans plus tard, George V lui succède.

A l’Est de l’Europe aussi le comportement allemand dérange. Avant même 1870, Alexandre III de Russie était conscient qu’une unification allemande était dangereuse pour son immense empire. De plus, les relations entre la Russie et l’Autriche-Hongrie se dégradent. Les deux pays s’affrontent dès 1890 aux Balkans. Saint-Pétersbourg pense avoir un droit de regard sur le sort des orthodoxes de la région, tandis que Vienne souhaite annexer la Bosnie et la Serbie. Guillaume II se range aux côtés de François-Ferdinand. Rien ne va plus entre l’Allemagne et la Russie.

 

Des liens familiaux étroits

Nicolas II succède à son père en 1894. Bien qu’il ne soit pas particulièrement proche de la France, il poursuit la politique francophile de son père qui souhaitait former une alliance puissante avec cette jeune république. Pour preuve, Alexandre III avait pensé à marier son héritier à Hélène d’Orléans, la fille du comte de Paris.

Bien qu’il se place dans la continuité politique de son père, « Nicky », comme il est surnommé par ses proches, connaît bien son cousin allemand, « Willy ». Le tsar a rencontré à de nombreuses reprises le kaiser, et ils entretiennent une correspondance accrue. Politiquement, l’autocrate Nicky se sent proche de l’empereur d’Allemagne à la poigne de fer. Mais personnellement, les deux empereurs s’opposent. Guillaume est exubérant et imposant, tandis que Nicolas est réservé et timide. Nicolas préfère de loin son cousin « Georgie » d’Angleterre, avec qui il partage ses traits de caractère.

George et Nicolas sont cousins par leurs mères. Alexandra et Dagmar sont les filles du roi Christian IX de Danemark. Respectivement mariées à Edward VII et Alexandre III, elles donnent naissance à deux fils nés en 1865 et 1868. Au cours de leur jeunesse, les deux cousins passent de longues périodes dans les résidences de la reine Victoria. Les amis d’enfance partagent en plus de cela une ressemblance époustouflante. Pratiquement jumeaux, il est difficile de les différencier. Guillaume d’Allemagne, né en 1859, est quant à lui, le fils de la fille aîné de la reine Victoria. George ne s’entend pas non plus avec Guillaume, où tout les oppose. George est donc la tête de proue de ce trio infernal.

 

L’alliance décisive

Nicolas II est alors favorable à un rapprochement avec l’Angleterre de George V. Mais l’opinion britannique s’oppose à une alliance avec un souverain qu’elle considère comme un despote. Paris devient alors le meilleur moyen pour arriver à ce rapprochement. En 1907 un accord est trouvé. La France, le Royaume-Uni et la Russie signent la Triple-Entente. Leur opposition commune à l’Allemagne de Guillaume II réussit à lier durablement les trois puissances. L’Europe est alors divisée en deux blocs qui ne cessent de se menacer. L’Allemagne s’allie quant à elle à l’Autriche-Hongrie. Deux alliances appelée à s’affronter en somme. Même si Nicolas II le pacifique fait tout pour préserver la paix en organisant une conférence internationale à La Haye en 1899, il suffit désormais d’une étincelle pour que la guerre soit déclarée.

Malgré leurs liens du sang, Georgie, Nicky et Willy ne cessent de s’opposer. Devenus chacun des souverains puissants, George et Nicolas continuèrent à se fréquenter pour des rencontres privées et amicales. Les relations avec Guillaume furent toujours compliquées. Ses rencontres avec le tsar et le roi ne se firent que dans un cadre officiel. Des querelles familiales qui débouchèrent, en partie, sur un conflit d’une envergure inédite.