Les Premiers Ministres de la reine Elizabeth II

La reine est officiellement politiquement neutre. Mais cette situation n’a pas empêché des relations parfois compliquées. Alors que Liz Truss devient le 16e Premier Ministre d’Elizabeth II, revenons sur les relations que la reine a pu entretenir avec le locataire du 10 Downing Street.

 
Winston Churchill, le mentor des premières années (1952-1955)

Quand Elizabeth II monte sur le trône en 1952, le Vieux Lion, vainqueur de l’Allemagne nazie, a entamé son second mandat quatre mois plus tôt. Il est le premier Britannique à s’incliner avec respect devant la jeune souveraine lors de sa descente de l’avion, à son retour du Kenya.

Churchill avait rencontré Elizabeth en 1928 à Balmoral alors qu’elle n’avait que deux ans et demi. Il voyait déjà en elle « un air d’autorité et de sagacité étonnant pour un tout-petit ». Quand la princesse héritière avait épousé son cousin le prince Philip en 1947, Churchill avait regardé ce mariage avec bienveillance.

Au lendemain de l’arrivée de la nouvelle souveraine en Angleterre, il déclare à la Chambre des Communes : « A l’orée de ce nouveau règne, nous ne pouvons tous que prendre conscience de notre contact avec l’avenir. Une figure jeune et charmante – princesse, épouse et reine – est l’héritière de toutes nos traditions et de toutes nos gloires […]. Elle est également l’héritière de toutes nos capacités d’unité et de fidélité. » Il devient ainsi le pilier sur lequel l’institution s’appuie pour transmettre le pouvoir d’un monarque à un autre.

Elizabeth II n’avait que 26 ans en 1952, sa formation au « métier de roi » n’avait pas pu être achevée par son regretté père. Fort de 50 ans d’expérience politique, il la conseille et la guide pour la préparer à régner. Il devient totalement admiratif de la droiture et du sens du devoir de la jeune reine qui a ses yeux ouvre un nouvel âge d’or pour l’Angleterre. Et Elizabeth II lui rend bien, en 1953, elle le fait chevalier de l’ordre de la Jarretière, le plus noble ordre de chevalerie d’Angleterre. Les deux personnages à la tête de l’Etat s’entendent si bien que les réunions hebdomadaires, d’ordinaire de 30 min, durent souvent plus de deux heures.

Lorsqu’il quitte le pouvoir en 1955, Elizabeth II sait qu’elle ne retrouvera jamais un homme politique aussi charismatique et doué que Winston Churchill. Comme un remerciement ultime, elle se rend aux funérailles du Vieux Lion célébrées en la cathédrale Saint-Paul en grande pompe en 1965.

 
Anthony Eden, le politicien maladroit (1955-1957)

Anthony Eden n’est pas le lumineux et caractériel Winston Churchill. Réservé, il ne partage pas la passion équestre de la reine. Plus mondain que la reine, il est aussi un politicien maladroit qu’Elizabeth II doit envers et contre tout soutenir.

La crise du Canal de Suez éclate en 1956, alors même que la reine n’est pas mise au courant. Le canal était alors jusqu’ici franco-britannique. Ancien moyen d’accès du Royaume-Uni vers son empire, le canal qui relie la mer Rouge à la mer Méditerranée était aussi un passage stratégique pour le pétrole. Mais en 1956, Président égyptien Nasser nationalise le canal. Le Royaume-Uni et la France déclarent la guerre pour récupérer le canal. Mais sous la pression des Etats-Unis, il retire ses troupes en novembre de la même année. Ce fiasco politique, militaire et économique lui vaut sa place. Il se retire de la vie politique en janvier 1957 pour être remplacé par Harold Macmillan.

 
Harold Macmillan, un guide vers la monarchie moderne (1957-1963)

Déstabilisée par la crise de Suez, Elizabeth II nomme comme nouveau Premier Ministre le conservateur Harold Macmillan. Mais comme son successeur, le nouveau chef du gouvernement est obsédé par le renversement de Nasser.

Les relations sont d’abord tendues entre Elizabeth II et Macmillan. La reine a du mal à gérer cet homme politique de trente ans son aîné. Mais finalement, elle apprend à l’écouter. Il la pousse par exemple à moderniser la manière de communiquer du palais en prononçant les discours de Noël à la télévision. Ils finissent par se rapprocher au cours du temps et exprimer un respect mutuel nécessaire pour diriger le Royaume-Uni.

 
Alec Douglas-Home, l’ami de la famille royale (1963-1964)

Alec Douglas-Home remplace Macmillan en 1963 à la tête du parti conservateur. Son prédécesseur avait dû démissionner pour raisons de santé. Titré comte de Home, il a dû se résoudre à renoncer à son titre qui le porta à la tête de la Chambre des Lords pour être élu Premier Ministre. Il est certainement l’un des Premiers Ministres les plus familiers de la reine. Et pour cause, dans sa jeunesse, il avait été un grand ami de sa mère Elizabeth Bowes-Lyon. Douglas-Home n’était donc pas un inconnu lorsqu’il se présente à sa première réunion hebdomadaire à huis clos. Proche de la reine, il l’aide même à sélectionner quelques-uns de ses chevaux de course. Mais les élections générales de 1964 lui font perdre son siège de Premier Ministre au profit de Harold Wilson.

 
Harold Wilson, une relation quasi-amicale (1964-1970 ; 1974-1976)

Harold Wilson était un homme issu de la classe moyenne inférieure. Très peu coutumier des habitudes et traditions de la famille royale, il aimait surprendre Elizabeth II par ses manières. Ainsi, le premier Premier Ministre travailliste du règne d’Elizabeth II fut aussi le premier à faire la vaisselle après les traditionnels barbecues à Balmoral. Autoritaire, il était aussi drôle et bon vivant. Forcément, il ne pouvait que s’entendre avec le couple royal qui apprécie les personnes simples. Lors de sa première audience avec la reine, il arrive à Buckingham accompagné de son épouse et de ses enfants, et sans porter la jaquette en vigueur. Une première au palais ! Pour autant, l’entrevue se passe si bien que la souveraine l’invite à boire un verre avant de repartir pour Downing Street.

Wilson doit quitter Downing Street en 1970, ayant perdu les élections générales. Mais ce n’est que pour mieux revenir ! En 1974, il reprend les rennes du pouvoir, pour le grand bonheur de la reine qui apprécie sa compagnie. Au plus fort de sa popularité et au grand désespoir de Sa Majesté, il lui demande la permission de se retirer en 1976. Reconnaissante envers la politique menée par Wilson, Elizabeth II le fait chevalier de l’Ordre de la Jarretière l’année suivante et l’élève à la pairie après son départ de la Chambre des Communes en 1983. Par sa personnalité attachante, Harold Wilson reste aux yeux de la reine son Premier Ministre préféré.

 
Edward Heath, l’européaniste entêté (1970-1974)

Edward Heath succède à Harold Wilson en 1970 à la suite de la défaite surprise des travaillistes. Issu lui aussi d’un milieu modeste, il est néanmoins beaucoup moins charismatique que son prédécesseur. Toute sa carrière politique, il avait fait de l’entrée du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne son combat. Une fois à la tête du gouvernement, il avait bien l’intention de mener son projet à bien. A ses yeux, le Commonwealth est secondaire. Seule l’Union européenne pourra faire grandir politiquement et économiquement la Grande-Bretagne. En cela, il s’opposait farouchement à sa souveraine. Elizabeth II ne l’a jamais caché, son titre de chef du Commonwealth a une immense importance à ses yeux. Elle est le ciment de cette organisation et elle souhaite plus que tout la voir prospérer et se développer. L’entente entre la reine et son Premier Ministre est donc pour le moins compliquée. Néanmoins, Heath réussit là où Wilson a échoué. En 1972, le Royaume-Uni fait officiellement partie des Etats membres de l’Union européenne. Ce fut sa grande victoire avant de devoir redonner son siège de Premier Ministre à Harold Wilson en 1974.

 
James Callaghan, un Premier Ministre face à la crise économique (1976-1979)

James Callaghan devient Premier Ministre en 1976, à une époque où l’Angleterre vit sa plus grave crise économique depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Choc pétrolier et grèves des mineurs viennent ajouter un climat de tensions sur les Îles britanniques. Malgré sa politique de rigueur, il consent avec beaucoup de réticence à financer les festivités du jubilé d’Argent de la reine en 1977. Elizabeth II sait que Callaghan n’avait pas le choix. Il devait mettre en place cette politique de restriction face à une crise exorbitante. L’ancien Premier Ministre déclare alors dans une interview à la BBC plusieurs années après son mandat que la reine avait été « conviviale » avec lui, sans jamais lui offrir son amitié.

 
Margaret Thatcher, le respect de la Dame de fer (1979-1990)

Ayant perdu la confiance de la Chambre des Communes, Callaghan démissionne en 1979 et laisse sa place à la première femme Premier Ministre de l’histoire britannique. Margaret Thatcher était une fille d’épicier qui partageait bien des points communs avec la reine. Elles sont nées la même année, elles ont dévoué leurs vies au Royaume-Uni et savaient se montrer fermes lorsque cela était nécessaire.

Pendant plus de 11 ans, Margaret Thatcher dirige le royaume d’une main de fer pour le sortir de la crise et faire face au communisme et la Guerre Froide. Elle impose des réformes drastiques envers et contre tout son entourage politique et l’avis des Britanniques. Admirée ou détestée, cette femme charismatique ne laissa personne indifférent, pas même la reine.

Elizabeth II s’exprima de nombreuses fois à l’encontre de la politique de son Premier Ministre lors de leurs entrevues. Margaret Thatcher fut le seul Premier Ministre à l’origine de portes qui claquent à Buckingham. Mais malgré leurs différents, les deux femmes s’admiraient et se respectaient. Elizabeth II n’a pas hésité à le montrer après le mandat de Thatcher. Elle la fait Dame de l’ordre de la Jarretière en 1995 et se rend personnellement à ses funérailles en 2013. Elizabeth II n’a accordé ce privilège qu’à un seul de ses Premiers Ministres : Winston Churchill.

 
John Major, le soutien inespéré (1990-1997)

Ancien membre du gouvernement de Margaret Thatcher, John Major lui succède comme locataire du 10 Downing Street en 1990. Les années 1990 sont la décennie noire du Royaume-Uni. Alors que John Major doit affronter la guerre du Golfe et les ralentissements économiques qui ont suivi, la reine subit l’incendie du château de Windsor et les problèmes conjugaux de trois de ses enfants. La tempête Diana fait rage sur la famille royale avec son lot de scandales médiatiques. Ensemble, John Major et Elizabeth II s’unissent pour faire face à ces crises d’envergure. Chacun sait trouver les mots en privé pour consoler ou soutenir l’autre.

 
Tony Blair, la modernisation de la monarchie à n'importe quel prix (1997-2007)

Voilà trois mois seulement que Tony Blair est Premier Ministre lorsque la princesse de Galles rend son dernier souffle dans un terrible accident de la route à Paris en 1997. Cet Ecossais ambitieux va devenir, malgré lui, le sauveur de la monarchie. Alors que la reine s’enferme dans son domaine de Balmoral pour protéger ses petits-fils de la frénésie populaire, les Britanniques jugent ce silence comme un manque de compassion. La crise est telle qu’en trois jours seulement la question de l’avenir de la monarchie est posée sur la table. Tony Blair réussit alors à convaincre la reine de rentrer à Londres pour prononcer un discours télévisé d’hommage à la princesse et d’organiser des funérailles nationales. La crise de la mort de Diana est la plus grave jamais vécue par la souveraine.

Sauveur de la monarchie, Tony Blair considère pourtant le régime et ses traditions comme désuets. Il n’aura qu’une obsession : moderniser l’institution. Il demande par exemple la démilitarisation du Britannia, le cher yacht de la famille royale trop coûteux à ses yeux. En plus de cela, il fragilise le pouvoir central en créant un Parlement écossais et une Chambre galloise. Pourtant, Elizabeth II a vu d’un bon œil dans un premier temps l’arrivée d’un travailliste, après 18 années dominées par les conservateurs.

 
Gordon Brown, une relation cordiale (2007-2010)

Gordon Brown succède à Tony Blair en 2007. Ce conservateur ne partage aucun point commun avec la reine. Leur relation reste cordiale mais sans événement marquant. Elizabeth II l’appréciait mais pas au point de l’inviter au mariage du prince William et de Kate Middleton deux ans après sa démission en 2010.

 
David Cameron, un élan de jeunesse (2010-2016)

Pour succéder à Gordon Brown en 2010, les Britanniques choisissent David Cameron. Du haut de ses 43 ans au moment de son entrée à Downing Street, il est le premier Premier Ministre à avoir vu le jour sous le règne d’Elizabeth II. David Cameron respecte donc la reine, comme l’on respecte nos aînés. Ensemble, ils lient une relation chaleureuse. D’autant que Cameron est un lointain cousin de la reine. Il est un descendant direct du roi Guillaume IV et de sa maîtresse Dorothea Jordan. Mais ses derniers mois à la tête du gouvernement sont marqués par un impair qui ne lui sera pas pardonné par la souveraine. Alors que les Ecossais votent “non” au référendum pour leur indépendance en 2014, David Cameron révèle la réaction de soulagement d’Elizabeth II. Par cette simple divulgation, le Premier Ministre porte un coup à la neutralité politique de la monarque. Ses excuses publiques ne feront rien. Son dernier grand éclat est d’organiser le référendum pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Il perd finalement la confiance de Buckingham et de Westminster et doit démissionner en 2016.

 
Theresa May, une relation entachée par le Brexit (2016-2019)

Alors que la question de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est sur toutes les lèvres après la victoire du “oui” au referendum de février 2016, Theresa May est choisie pour prendre en main les négociations du Brexit. Elle est ainsi la deuxième femme à gouverner au Royaume-Uni. Pendant trois ans, elles vont nouer une relation étroite et chaleureuse indispensable dans ce contexte politique extrêmement tendu. Mais le Brexit aura raison de sa fonction. Theresa May démissionne en 2019. Elizabeth II rendra hommage à tous ses efforts pendant cette période si difficile pour le pays pendant leur dernière entrevue.

 
Boris Johnson, le troublion incontrolable (2019-2022)

Le nouveau Premier Ministre est bien entendu un pro-Brexit. Mais avant tout, Boris Johnson est un monarchiste qui tient la reine en haute estime. Celui qui voit en Winston Churchill un modèle met la monarchie au centre de ses préoccupations. Il commence par demander la suspension du Parlement pendant un mois et demi pour render possible un Brexit sans accord avec l’UE ou de pousser au renversement du gouvernement en vue de nouvelles élections. Ce coup de point politique a raison de sa majorité au Parlement. Il signe finalement un accord avec l’UE en octobre 2019. Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni est officiellement sorti de l’UE. Au même moment commence la crise de Covid-19 que le Premier Ministre doit géré de concert avec le reste du monde.

Ses relations avec la reine finissent par se dégrader. Et pour cause, Boris Johnson est à l’origine d’un premier scandale qui a raison de sa position. Le 9 avril 2021, le prince Philip rend son dernier souffle. Deux semaines plus tard ont lieu ses obsèques. Selon le Telegraph, Boris Johnson organise au même moment une fête au 10 Downing Street jusqu’au petit matin. Il reconnait ses torts officiellement et présente ses excuses publiques. Mais le mal est fait. Ses nombreux scandales le poussent à démissionner le 7 juillet 2022.

Il est finalement remplacé par Liz Truss, une femme qui suit les pas de Margaret Thatcher. L’avenir nous dira si Elizabeth II saura s’entendre avec la troisième Première Ministre de son règne.