Un nazi dans la famille royale britannique

Décembre 1936, Edward VIII abdique pour le coeur d'une Américaine doublement divorcée. Cet événement est unique dans l'histoire britannique et continue à hanter les esprits les plus conservateurs. Quelques mois après avoir rendu sa couronne, Edward s'empresse de rencontrer Adolf Hitler. Les rumeurs sur les véritables raisons de cette abdication commencent à apparaître. Edward VIII n'avait-il pas des sympathies nazies qui auraient conduit la famille royale et le gouvernement à le pousser vers l'abdication ? Aujourd'hui, la majorité des hisoriens s'accordent sur ce point. Pourtant, Edward VIII n'a jamais ouvertement revendiqué son appartenance politique. Mais il est un membre de la famille royale peu connu qui est publiquement entré dans les rangs nazis, et cela dès 1929 : Charles-Edward de Saxe-Cobourg-Gotha.

Je vous invite à découvrir l'histoire d'un nazi dans la famille royale britannique.

 

Entre l'Angleterre et l'Allemagne

Le prince Léopold est le dernier fils de la reine Victoria et du prince Albert. Il est l’un des premiers membres de la famille royale à être diagnostiqué hémophile, cette maladie du sang à l’époque meurtrière et transmise par les femmes. Malgré tout, après son mariage avec la princesse Hélène de Waldeck-Pyrmont, il devient le père d’une petite fille qu’il prénomme Alice. Mais Léopold souffre de son hémophilie. Hélène est une seconde fois enceinte quand il part en 1884 à Cannes soulager son mal-être. Il chute grièvement le 28 mars et finit par perdre la vie. Le 19 juillet suivant, sa veuve donne finalement naissance à un petit garçon qu’elle nomme Charles-Edward. Le petit garçon hérite du titre paternel de duc d’Albany. Sur ses épaules repose désormais la réputation de sa famille, un devoir que n’aura de cesse de lui rappeler sa grande soeur.

Guillaume II d’Allemagne monte sur le trône germanique en 1888. L’empereur ambitieux se prend très vite d’affection pour son jeune cousin orphelin de père. Il se donne pour mission d’offrir la meilleure des éducations au garçon que la cour impériale aime surnommé “le septième enfant de l’empereur”. Dès ses plus jeunes années, Charles-Edward partage son temps entre le Royaume-Uni encore gouverné par sa grand-mère la reine Victoria et l’Allemagne de son cousin Guillaume. Mais c’est en véritable Allemand qu’il est finalement éduqué.

 

Duc malgré lui

Charles-Edward est destiné à reprendre fièrement le titre de son regretté père, mais un événement inattendu vient troubler cette destiné. En 1899, le fils unique du prince Alfred décède prématurément. Alfred n’a plus d’héritier pour reprendre son titre de duc de Saxe-Cobourg-Gotha. La reine Victoria intervient personnellement auprès de son fils pour qu’il offre le titre à Charles-Edward après sa mort, sans prendre en compte les règles de succession. Alfred s’exécute et le nomme comme héritier. Le 30 juillet 1900 il succède à son oncle et devient le chef de la Maison de Saxe-Cobourg-Gotha et le souverain légitime du duché. Il part alors vivre avec sa mère et sa soeur au château de Stuttgart en Allemagne auprès du roi Guillaume II de Wurtemberg, avant de s’installer près de Potsdam.

Fait chevalier de l’ordre de la Jarretière en 1902, il reste néanmoins très proche de l’empereur Guillaume II. Les deux hommes partagent d’ailleurs une passion commune pour la chose militaire. La puissance et le pouvoir les obsèdent et les rapprochent. C’est d’ailleurs l’empereur qui choisit sa future épouse. Son choix se porte sur sa nièce, la princesse Victoria-Adélaïde. Le couple se marie donc le 11 octobre 1905 à Cobourg avant d’avoir cinq enfants.

 

Un prince constamment déchiré

En 1914, l’Allemagne et le Royaume-Uni entrent en guerre. Charles-Edward a un problème. Britannique de naissance, il est néanmoins très attaché à son pays d’adoption. Doit-il renier son allégeance au monarque britannique ou à l’empereur allemand ? Rien ne l’attache réellement à l’Angleterre puisqu’il est même né à Cobourg. C’est donc tout naturellement qu’il décide de soutenir l’Allemagne. Mieux que cela, Guillaume II le nomme général au sein de l’armée allemande. Pour George V, les agissements de son cousin sont un affront à sa personne. Dès 1915, le roi raye son nom du registre des chevaliers de la Jarretière. Commence alors une longue lutte contre sa propre famille.

 

Le prince banni

En 1917, il signe une loi qui exclut les membres non Allemands de la Maison de Saxe-Cobourg-Gotha du trône ducal. Charles-Edward montre encore un peu plus son attachement à l’Allemagne. Pour les Britanniques, ce prince proche de Guillaume II n’est rien d’autre qu’un traître. S’en est trop pour George V qui voit la montée du sentiment anti-germanique monter en son royaume. Il prend la décision de distinguer les branches allemande et britannique de sa famille en créant la Maison Windsor. Il retire également tous les titres allemands à sa famille. Charles-Edward n’est pas innocent dans cette prise de décision brutale du roi.

Charles-Edward perd alors ses titres et sa nationalité, à savoir ceux du duché d'Albany, du comté de Clarence, et de la baronnie de Arklow. Le duc et ses enfants ont également perdu leurs titres de prince et de princesse du Royaume-Uni et leur prédicat d'Altesse Royale. De plus, le 18 novembre 1918, les travailleurs et le Conseil des soldats de Gotha décident de déposer le duc de Saxe-Cobourg-Gotha. Cinq jours plus tard, le duc signe sa déclaration d'abdication au trône. Son duché est séparé en deux états libres : Gotha au sein du land de Thuringe, et Cobourg au sein du land de Bavière. Les nouveaux gouvernements des deux lands saisissent ses terres et propriétés pour en faire des biens publics contre proposition d'indemnisation comme ce fût le cas pour toutes les familles nobles ou princières allemandes.

 

La radicalisation inévitable

Celui qui rejette l’indemnisation proposée par son ancien duché pour la perte de ses biens finit par accepter une compensation financière et territoriale en 1925. Il vit alors avec sa famille au château de Callenberg à Cobourg.

Mais à la sortie de la Première guerre mondiale, cette Allemagne qu’il aime tant a bien changé. L’Empire est tombé au profit du socialisme. En plus de cela, il se sent trahi par l’Angleterre et sa famille. Il ne retourne au Royaume-Uni qu’en 1936, au moment de l’accession au trône d’Edward VIII, un cousin avec qui il s’entend sur bien des points.

L’ancien monarque devient un citoyen comme les autres. Charles-Edward n’est pas à sa place dans cette nouvelle Allemagne. Il se rapproche très vite de l’extrême-droite pour faire face à la menace communiste. Au début des années 1930, il se lie d’amitié avec un homme au tempérament de feu et qui semble avoir un avenir politique prometteur : Adolf Hitler.

 

Le duc déchu et le parti nazi

Après avoir appuyé formellement la candidature du parti aux élections de 1929, il est désigné 4 ans plus tard comme membre parrain de la SS. Dès 1935, il rejoint le parti nazi et entre dans la SA avec le grade de général. En 1937, il entre au Reichstag en tant que représentant du parti nazi, un siège qu’il occupe jusqu’en 1945.

Il rencontre Hitler le 14 octobre 1922 lors d’une soirée à Cobourg. Les deux hommes s’apprécient et se respectent mutuellement. Hitler admire les origines royales de Charles-Edward. Quant à ce dernier, il est ébahi devant la rhétorique et les capacités politiques du chancelier. Le Führer voit en Charles-Edward l’outil idéal pour se rapprocher de l’Angleterre. Il le charge de mener une opération diplomatique d’envergure pour signer un pacte avec le Royaume-Uni. En 1936, George V meurt à Sandringham. C’est lui qui est alors envoyé par Hitler pour le représenter lors des funérailles du défunt roi. Edward VIII lui assure alors que durant son règne aucune attaque britannique sur l’Allemagne ne sera faite durant son règne. Charles-Edward rentre confiant en Allemagne pour annoncer la nouvelle à Hitler. Mais Edward VIII abdique à la fin de l’année 1936. Les sentiments pro-germaniques en Grande-Bretagne s’évanouissent avec lui.

Charles-Edward obtient de nombreux postes honorifiques de la part du Führer ce qui lui permet d’obtenir une place haut placée au sein du parti, tout en offrant sa renommée en tant qu’ancien membre de la famille royale au IIIe Reich. Il participe au programme d'extermination de malades mentaux et handicapés. Ses trois fils vont même servir pour l’armée allemande. L’un d’entre eux va d’ailleurs mourir en 1943 sur le front de l’Est.

 

Un homme solitaire face à son passé

La fin de la Seconde guerre mondiale sonne l’heure du jugement. Charles-Edward est d’abord placé en résidence surveillée par le général américain Patton puis il est emprisonné pour son appartenance au parti nazi jusqu’en 1946. Mais Alice n’a pas oublié son frère. Elle prend le premier avion au côté de son époux Alexander de Cambridge pour tenter de le faire libérer, mais en vain. Malgré son influence comme membre de la famille royale britannique, elle n’obtient aucune pitié de la part des Américains qui ont bien l'intention de le laisser répondre de ses actes.

En 1946, face à un tribunal de dénazification, il est condamné à de lourdes amendes qui manquent de le ruiner définitivement. Il échappe de peu à la prison à vie grâce à sa santé fragile et son âge avancé (62 ans à l’époque). Il perd la plupart de ses biens qui passent aux mains des Soviétiques et des Américains.

Il s’enferme dans un appartement à Cobourg avec son épouse où ils vivent reclus avec leurs souvenirs glorieux de ducs de Saxe-Cobourg-Gotha. Charles-Edward demeure à jamais détesté et fuit de la famille royale. Elizabeth II ne l’invite pas à son couronnement en 1953, il est alors contraint de le regarder dans un cinéma local. Charles-Edward est atteint d’un cancer qui finit par l’emporter le 6 mars 1954.

 

Le souvenir du duc aux idées radicalement opposées à celles de sa famille reste sombre de nos jours. Après sa mort, plus jamais un membre de la famille royale n’a osé prononcer son nom. A l’origine de bien des malheurs pour les Windsor, Charles-Edward de Saxe-Cobourg-Gotha eut une vie bien différente de celle du reste de sa famille. Si son unique soeur l’aimait passionnément, elle n’a jamais cautionné ses agissements. Encore mieux, elle s’est montrée comme son total contraire. Très attachée à son rôle de représentant du monarque, elle s’est même engagée sous le drapeau canadien. Ce souverain déchu qui choisi le diable plutôt que le bien a vu sa descendance lui survivre et racheter l’image de sa famille. Son petit-fils Carl Gustaf devient roi de Suède en 1973.